Rachid Djaidani : Boumkoeur, un roman beur entre polyphonie sociale et poésie d?un nouveau langage.

Morgane Frican et Johanne Merendet

Table des matières

 « Y a-t-il un regard, une esthétique beur ? Tout cinéaste beur doit réaliser deux conquêtes à la fois, celle d?une langue nationale, le français, et celle d?un langage universel, le cinéma. [?] Autrement dit, peut-il y avoir des films qui soient beurs non pas uniquement parce qu''ils parlent de beurs, mais parce qu?ils expriment dans l?esthétique de leurs images, dans l?articulation de leurs séquences ou dans le rythme de leurs scènes, une spécificité culturelle beur ? »

Telle est la question que pose Abbas Fahdel à propos du cinéma beur dans l?ouvrage de Venturini, Mehdi Charef, conscience esthétique de la génération « beur »1. Cette interrogation met à jour la difficile légitimité de l?expression beur, et nous paraît ainsi pouvoir s?appliquer au domaine émergent d?une littérature dite de l?immigration. A la fois en quête d?intégration et de spécificité culturelle et littéraire, le discours beur rencontre le même problème de reconnaissance esthétique qu?au cinéma. La dénomination « littérature beur »  a-t-elle aujourd?hui une légitimité à part entière sur la scène littéraire française ?

Souvent envisagée comme le rejeton de la littérature maghrébine francophone, littérature désormais reconnue et majeure, la littérature beur peine à conquérir une place autonome dans le monde des lettres. On la définit souvent comme «écriture des marges », «  d?un troisième espace » voir d?un « non-lieu », microgenre au stade embryonnaire de son développement. Sous-genre donc, dont le succès serait dû à un intérêt ethnographique plus qu?à une quelconque valeur littéraire, et où la volonté testimoniale l?emporterait sur  la recherche d?une qualité stylistique. « C'est une littérature émergente dont le souci principal serait le rendement immédiat. Faite avant tout de témoignages sur le vécu quotidien, la prise de paroles se fait d?une manière désordonnée et très rapide », nous dit Jamal Zemrani.2

Le succès commercial de Boumkoeur semble confirmer cette opinion, majoritaire chez les critiques actuels. Vendu à plus de 90 000 exemplaires à sa sortie, l?ouvrage de Rachid Djaïdani apparaît d?abord comme un phénomène médiatique, ayant profité du contexte de crise sociale des banlieues. Mustapha Harzoune le signale : « Même le succès de Boumkoeur (90 000 exemplaires vendus), du bouillonnant Rachid Djaïdani, ne parvient pas à lever une certaine équivoque liée à la façon dont ces auteurs sont utilisés »3. Djaïdani l?annonce lui-même au c?ur de son roman : « le sujet, c?est mon quartier » (p.12), ou encore « ma seule préoccupation sera de témoigner » (p.17). Pourtant, n?est- ce pas ce même auteur que l?on a pu voir sur les plateaux de télévision du défenseur de la pureté du français standard et de la littérature qu?est Bernard Pivot ?

Apparaît alors aussitôt la problématique, centrale à nos yeux, de la langue travaillée par une telle écriture. En effet, si la littérature francophone maghrébine témoigne bien d?une situation de bilinguisme, et joue sur une mise en scène de deux identités culturelles et linguistiques, ce n?est pas le cas de la littérature beur.  Ni Arabes ni Français, la position équivoque des écrivains beurs, qui ne parlent pas l?arabe pour la plupart, les place au point de jonction du croisement culturel et linguistique qui interroge leur identité au c?ur de la langue. Ainsi Crystel Pinçonnat peut-elle affirmer : « Les littératures d'immigration caractérisées par la pratique de l'hybridation sous toutes ses formes et la recherche d'une voix propre, quête qui va de pair avec un travail de fragilisation de la langue ou, à l'inverse, une hyper-correction et une obsession de la langue. »

Le statut d?emblée paradoxal d?une écriture qui oscille entre documentaire et laboratoire linguistique expérimental met donc en question la langue même du roman. Car c?est bien au c?ur d?une nouvelle linguistique que se jouent les enjeux majeurs du roman beur et de sa légitimité. Avec Boumkoeur, dont le titre est d?emblée un jeu de langage et une déformation phonétique, on est aussi éloigné du classicisme irréprochable de la langue française, tel qu?un Jean Amrouche avait pu la traiter, que d?un parti pris d?argot total, à l?image de l?écriture d?Azouz Begag. Sa construction polyphonique fait du roman un recueil des différents parlers des cités, à l?image d?un dictionnaire des banlieues, où l?on voit apparaître « du gitan, de l?arabe, du verlan et un peu de français » (Boumkoeur p.45), mais toujours sur le mode de la distanciation et dans une maîtrise aux accents poétiques. Ce mixage oral s?inscrit dans l?émergence d?une identité qui se met en scène pour se définir et s?affirmer au sein même de la langue,  émergence qui va de pair avec celle de cette nouvelle littérarité. Il s?agit alors, pour l?écrivain comme pour le personnage principal Yaz, de faire de l?écriture un processus expérimental qui entend dépasser le discours topique d?une littérature des banlieues. Nous nous demanderons donc comment le travail sur la langue dans Boumkoeur condense l?expression authentique d?un témoignage sur l?identité beur et son dépassement dans la recherche d?une littérarité nouvelle, personnelle et légitime. Comment passe-t-on de la quête d?une légitimité identitaire à celle d?une légitimation littéraire dans l?avènement d?une nouvelle littérature, littérature française ?

 « Quand nous serons gros et heureux et que chacun aura un emploi, un logement et un peu d?amour, nous pourrons alors nous raconter des histoires à l?eau de rose. Mais nous en avons encore pour longtemps à rire violemment. »
Mohammed Fellag4

Dans Boumkoeur, Rachid Djaïdani rend consubstantielles une réflexion sur le langage et la définition de son identité de jeune beur. C'est à partir d?une problématique langagière que se fonde à tous les niveaux la revendication d?une singularité, couplée avec un désir d?intégration : la référentialité autobiographique met en scène les progressions linguistiques et les interrogations qui en découlent, la fiction adolescente recherche un parler identificateur, et l??uvre littéraire s?inscrit dans un système linguistique total, qui se veut à la fois « visibilité »5 révoltée et appropriation du français. Cette ambivalence constante entre la nécessité d?être fidèle à soi-même (à ses racines, à son ancrage social) hors de toute dénaturation, et de faire preuve de créativité dans « un mixage oral, violent, inventif » sous-tend tout le livre, et lui imprègne sa force de fascination. Ainsi Michel Laronde peut-il affirmer : « Pour parler de mon identité, je suis condamné a priori à deux choses : à me mesurer sans cesse à la conscience que j?ai de l?Autre en Moi ; à me décaler de sa présence en Moi pour rendre compte »6. Il s?agit à la fois de se faire autre, de s?incorporer, de s?intégrer ; et de mesurer l?écart de sa propre singularité pour faire advenir une écriture créatrice.

Cette reconstruction se lit dans les choix langagiers opérés par l?auteur, à travers un ancrage sociolinguistique qui signale une appartenance à un collectif, en même temps qu?il revendique une créativité propre. Mais la dynamique revendicatrice à l??uvre dans le roman rejoue les stéréotypes attachés à sa classification et son identification comme « roman beur », et se promet de répondre à l?horizon d?attente qui est celui du lecteur face à cette littérature. C'est ainsi que les effets stylistiques saturés d?oralité, les personnages typifiés, les interrogations banalisées offrent un concentré qui mérite d?être dépassé.

Le roman se présente d?abord à nous par son paratexte, celui-ci étant constitué de deux éléments frappants : le titre, et le nom de l?auteur. Le patronyme arabe Rachid Djaïdani nous introduit d?emblée vers un ancrage particulier, celui d?une littérature maghrébine, francophone, ou beur, ancrage renforcé par la première de couverture où figure une photographie de l?auteur, floue et partiellement masquée, prise selon un angle qui rappelle les fiches signalétiques de prisonniers. Le titre Boumkoeur, quant à lui, fait montre d?un jeu langagier qui apparaît comme la première réalité du roman, et signale la volonté de l?auteur de placer son ?uvre sous le signe d?une thématique (l?enfermement, image métaphorique des tribulations adolescentes et sentimentales d?un jeune banlieusard), et d?un jeu de langage. Il s?agit en effet, à l?image du roman entier, de se réapproprier les mots de la langue française selon une mode langagier qui soit à la fois le reflet du parler des banlieues et de l?influence américaine, le fruit d?un travail poétique selon le procédé de création de mots-valises, et le métissage ludique entre signifiant légèrement ironique et signifié plus grave. Ce paratexte annonce donc une esthétique particulière au roman de Djaïdani, et le place sous le signe du décalage linguistique.

A l?origine du roman beur et de sa forme à tendance fortement autobiographique, se trouve en effet un difficile positionnement au sein même de la langue, qui traduit une problématique de reconnaissance identitaire. La frontière est double, et s?incarne explicitement dans la fiction. Dans un double mouvement, sont refusées aux jeunes beurs de banlieue l?accessibilité au français classique, langue dominante, et la maîtrise de la langue des origines, le dialecte arabe parlé par les parents. Habiba Sebkhi définit dans son article la littérature « naturelle », en pointant cette ambivalence constitutive de toute écriture beur : « La littérature naturelle, fondamentalement autobiographique, cherche à saisir puis à établir un moi dans son identité culturelle éparse, composée d'un ici français (récit premier) et d'un ailleurs maghrébin (récit second/secondaire ?) ».7 Ce déchirement premier est également analysé par Michel Laronde, qui met à jour une dialectique complexe entre identité et altérité, puisqu?il faut selon lui acquérir une « différence pour cerner la part proprement individuelle de l?identité ».8

Dans le texte de Rachid Djaïdani, Yazad retranscrit à travers les figures emblématiques de deux personnages cette déchirure langagière : son père, conforme au stéréotype du roman beur, représente l?archaïsme et la soumission d?une culture qui renvoie à une situation de colonialisme, tandis que le personnage de l?instituteur, par ailleurs fasciste et prétentieux, abuse d?un français exagérément classique pour en exclure le jeune beur.

« Face au Daron, Napoléon retrouve une émotion de colonisateur sortant des mots que même le dictionnaire a du mal à saisir. Le Daron l?écoute et acquiesce des oui de la tête. Il n?ose participer à la conversation qui le dépasse. »

Parallèlement, la langue du pays d?origine, pratiquée lors de moments de chocs culturels, se fait réseau de violences et d?interdits qui creuse le fossé intergénérationnel et impose l?incommunicabilité :

« Quand il me trouve avec un stylo, il me traite de bourricot. Il a rigolé quand je lui ai confessé mon projet d?« écrire un livre ». Il a dit des mots dans sa langue que je ne comprends pas. Faudrait que j?apprenne à parler le dialecte de mes ancêtres pour pouvoir lui répliquer qu?il devrait me soutenir plutôt que de toujours m?enfoncer. »

Le mode de désignation de ces langues pose lui-même problème, puisqu?il s?effectue au moyen de métaphores et de périphrases, dans un style qui préfère la neutralité et les accents enfantins à une prise de position revendicatrice. Cet exemple illustre, pour reprendre les termes de Crystel Pinçonnat, « le caractère éminemment problématique de l?identité beur qui ne peut se dire que dans la binarité "Français et Arabe" ou encore "ni Français ni Arabe" (Laronde). »9 Le roman relate ainsi la difficile intégration du jeune beur, par une mise en abyme où il s?agit pour Yazad d?assimiler la langue française pour une intégration directe elle aussi emblématique : pour l?amour d?une jeune métisse eurasienne, Satîle, le personnage narrateur s?efforce de se « cultiver » :

« Ses parents, eux, ne voulaient pas me voir avec leur fille, j?étais un illettré comme il disait. Satîle s?efforçait pourtant de me cultiver, en me faisant la dictée, la lecture et le calcul. [?] je lui récitais par c?ur les poèmes qu?elle m?avait appris. L?alphabet était ma première récitation. »

L?intégration recherchée est ici doublement problématique, et illustre en prisme celle de toute l??uvre : il s?agit de se faire accepter au sein d?une famille assimilée à la culture française, tout en combattant les réticences de son propre clan (« Tous savaient que ses parents, comme les miens, ne voulaient pas de brebis galeuse dans leur clan. »). La même dichotomie culturelle est thématisée dans la constitution du personnage du marabout, emblème du passé algéro-soudanais, dont Yaz s?éloigne par le biais d?une franche moquerie mais qui demeure présent à titre de superstition (« Je riais à gorge déployée lorsque Maman me racontait des histoires sur les sorciers marabouts du bled? [?] Mes éclats de rire ne m?auraient-ils pas valu un maléfice ? »).

Cette situation ambiguë témoigne d?une illégitimité qu?Habiba Sebkhi analyse ainsi dans son article : « Le roman beur est un récit de vie (re)construit par un bâtard ici culturel. Tout comme le "roman familial", son contenu est constant et il arrive à un moment de crise pour contrer une illégitimité. »10 La difficulté à s?inscrire dans un héritage impose comme une nécessité le roman Boumkoeur, et débouche sur une exigence linguistique de l?immédiateté, sur une esthétique propre au roman beur qui vise à ancrer son authenticité.

Boumkoeur se place d?emblée dans la lignée esthétique de la littérature beur, dont la portée et l?apparence de témoignage en font une littérature qui semble référentielle et davantage porteuse d?un message qu?avènement d?une esthétique. Les critiques s?accordent sur ce point et leur description emprunte au premier abord une analyse identique : Jamal Zemrani met en avant cet ancrage didactique, et dénie toute littérarité au texte beur : « La pratique de la syntaxe y est approximative et le lexique, simple et direct, frôle l?indigence. Le style est lapidaire, sec et nerveux ; on écrit comme on parle. »11, tandis que Alaoui Abdalaoui insiste sur la visée testimoniale : « Il s?agit essentiellement de témoignages, dans un style sec et transparent : le lexique clair et simple frise la pauvreté chez nombre d?entre eux, puisé dans le vécu, dans le quotidien de la langue parlée, dans une écriture dont le souci premier reste l?efficacité. »12

Dès l?incipit du roman, le texte concentre en effet un ancrage dans le réel et dans l?oralité.

« Une galère de plus comme tant d?autres jours dans ce quartier où les tours sont tellement hautes que le ciel semble avoir disparu. Les arbres n?ont plus de feuilles, tout est gris autour de moi. Moi, c?est Yazad, mais dans le quartier on me surnomme Yaz. C?est mortel comme il caille, j?ai l?impression d?être dans mon frigidaire. »

L?usage des déictiques, la focalisation interne sur un point de vue auto-référencé qui balaie son univers d?un regard circulaire, et l?identification immédiate du « je » narrateur, instaurent un gage de réalité identifiable dans laquelle le lecteur se trouve plongé. Cette authenticité est renforcée par les traits stylistiques de l?oral qui imprègnent un langage qui se veut expression directe du discours, voix du personnage-narrateur Yaz qui s?exprime sur le modèle du monologue intérieur. L?insertion d?expressions et de tours familiers ainsi que l?utilisation d?un lexique renvoyant directement à un parler argotique (« c?est mortel comme il caille », « y a pas un chat », « gigolo, mon brother ? » etc?) qui émaillent le texte sont autant de marqueurs d?une subjectivité qui se définit d?abord par son langage. Les interjections, marques spontanées de l?oral, sont nombreuses et vulgaires (« Mon cul ! » « Merde ! »), tandis que les incorrections  syntaxiques sont cultivées, comme l?oubli récurrent du forclusif de la négation, ou l?élision du pronom « il » dans les tours impersonnels (« Y a erreur »). Ces stéréotypes langagiers renvoient immédiatement à un parler des cités, et construisent l?éthos de Yaz comme jeune banlieusard.  

Cet ancrage permet à un niveau macrostructural de s?intégrer dans une littérature pittoresque, de témoignage, qui « rend son roman proche d?une authenticité » qui lui permet de « raconter cette vie de quartier », selon la préface rédigée par le groupe NTM.

Le flux de pensée se déverse en phrases chaotiques et rythmées dans le texte, selon une « esthétique de la saturation » mise à jour par Abdallah Mdarhri-Alaoui, qui « favorise une parole volubile, donnant une impression de "bavardage" : c?est l?alternative à la crise de communication dans une société où la "marge" n?est plus écoutée par le " centre"  »13. La narration est en effet sans cesse interrompue de réflexions personnelles, d?intrusions directes dans l?esprit du narrateur, qui passe sans transition de la relation des faits au discours :

« Cette phrase, il la lâche un bon paquet de fois ; franchement je suis dépassé, de quoi veut-il parler ? » (p.42)

Le présent de narration se confond avec le présent d?énonciation, qui est un embrayeur, et le lecteur suit la conscience d?un personnage avec lequel il s?endort et se réveille au gré du curieux refrain qui fait retour dans le texte et en marque les étapes : « Ron piche ron-piche ron-piche c?est le refrain du dodo. » De ce point de vue, le roman participe à une poétique de l?immédiat et de l?instantané, sur le mode de l?événement flash.

Si le style de Djaïdani est aussi direct, c?est aussi dans une visée didactique et d?efficacité : Jamal Zemrani nous livre cette analyse, dans son article cité ci-dessus : « des écrivains issus de l?immigration empruntent les voies et artifices de la fiction pour faire passer leur message de contestation. Sa disparité est celle de la vie qu?il raconte. ».  Le genre romanesque devient donc porteur de signes qui ne sont pas uniquement ceux de l?imaginaire, mais qui servent comme arme de dénonciation. Boumkoeur répond au projet d?interroger la vie pour en recréer de nouvelles conditions : ainsi malgré l?ironie perceptible dans l?exclamation de Yaz, le message de l?écrivain derrière son double fictionnel est à identifier :

« Moi aussi j?ai la haine, ma cité va craquer et ce n?est pas sur un air de raï que je ferai mon état des lieux. » (p.18). « J?ai toujours voulu écrire sur les ambiances et les galères du quartier » (p.11).

Habiba Sebkhi excuse et légitime cette esthétique adoptée : «  Il est clair que cette littérature n?est pas sans failles ; mais si son style est le plus souvent oral et argotique, c?est peut-être que la langue des tripes demande d?abord à être entendue sans devoir au préalable passer devant une police de l?esthétique qui s'arrogerait le droit de sanctionner l?affichage d?une "non-littérarité". »14 Est ainsi affichée et revendiquée cette « non littérarité » du texte, celui-ci s?inscrivant entièrement dans le domaine du vécu qu?il entend dénoncer de façon authentique : « C'est pas du Molière, mais au moins c?est sincère », (p.151). Il ne s?agit pas d?utiliser les belles fioritures du français classique, mais de s?inscrire dans la langue du sujet parlant. Yaz l?affirme dans son projet qui met en abyme la figure de l?écrivain : « Et puis les longues tartines on s?en bat les couilles [?]. Ma seule préoccupation sera de témoigner. » « Je ne tricherai pas, on est pas des pros de ce genre de taf, et alors ! ». L?oralité, l?utilisation d?un français non standard, la liberté laissée aux incorrections et à la familiarité sont autant de refus d?une littérature ampoulée dans la volonté de rester sincère.

Ce besoin de se référer à une réalité socialement et actuellement déterminée est illustré par la forme autobiographique que prend le roman. Ecriture à la première personne, expression d?une singularité, d?une intériorité, mais aussi ancrage et point de vue sur le monde sont les garants de l?expression d?une identité en reconstruction. Dans une littérature naturelle telle que la définit Habiba Sebkhi, l?autobiographique est une donnée essentielle parce que « faire le récit de sa vie n?est pas un prétexte. C'est un acte vital. »

L?écriture du « je » met en valeur les difficultés du moi à se saisir comme identité fixe, et à se définir par et dans le texte. « Le choix esthétique de l?emploi constant du je par les romanciers beurs cache mal leur double étrangeté ainsi que le conflit de l?ipséité et de l?altérité. » nous dit Jamal Zemrani, qui oppose le contexte des Lumières où l?emploi du « je » était le garant de l?unité du moi, à cette littérature émergente où « l?apparition régulière du je est inséparable d?une dissociation. De sorte que l??uvre problématise l?identité du Moi des auteurs beurs plus qu?elle ne la fonde dans et par cette dissociation ». La catharsis à l??uvre dans cette pensée intérieure qui s?épanche au sein du texte libère les traumatismes dus à une condition sociale et à une situation historique données, et tente de ressaisir une identité morcelée. Le jeune narrateur Yaz, au moyen d?analepses fréquentes et de digressions qui sont prétexte à raconter une part de sa vie, effectue de nombreux retours sur lui-même, s?imposant une « gymnastique sur [lui] » qui l?amène à nous livrer son autoportrait :

« Mon âge est de vingt et un hivers, je porte un jean 501, un pull bleu, sur mon poignet droit une gourmette en argent avec le prénom d?Hamel, mon défunt petit frangin, j?habite au 12e étage d?une des tours de la cité, je suis au chômage. J?aime bien la vie en général, mais j?aime pas le rap de variétés, qui me parle de bouger de là et qui me dit de balancer les bras en l?air parce que ma vie est funkie. » (p.79)

 Le mélange dans ce portrait des stéréotypes classiques de l?identité « beur de banlieue », et du rejet de ceux-ci dans un mouvement ironique de distanciation propre à Djaïdani est emblématique de la nouvelle dialectique à l??uvre dans Boumkoeur, que nous analyserons à la fin de cette première partie.

Toutes les analyses sociologiques et psychologiques du phénomène de littérature beur mettent à jour comme point de départ à l?écriture le traumatisme d?un individu en mal de reconnaissance, à l?identité sociale et historique déchirée, qui cherche à travers l?écriture à redonner un sens et une légitimité à une existence trop anonyme.  La revendication de Djaïdani exprime elle aussi cette ranc?ur à l?encontre d?une société volontairement aveugle : « L?Etat lui-même nous a mis une croix dessus afin que des loups sans principes puissent nous croquer sans sel. » S?il insère dans son roman de nombreux fragments de son histoire personnelle,  il donne une profondeur au récit qui s?érige en totalité ; par-delà le fait divers purement fictionnel, se joue une histoire dont la sensibilité affleure. C'est ce qu?affirme Mustapha Harzoune à propos de la littérature beur : « Le réalisme est un passage obligé pour qui veut s'émanciper des blessures de l'enfance, de trajectoires familiales où les ruptures laissent des traces indélébiles, du déterminisme culturel. [?] Le réalisme est non seulement émancipation, il est aussi réappropriation de son histoire, de son présent, de soi. »15

La fiction permet alors de réécrire l?histoire, sous l?angle de l?exploration d?une communauté oubliée, pour restituer un passé et une mémoire culturelle que l?auteur se réapproprie. Cette réappropriation est essentiellement linguistique, comme nous allons le voir.

  L?exclamation du jeune héros face au langage de son ami Grézi peut être comprise comme clin d?oeil métalittéraire, et extraite (ainsi que l?éditeur le fait) pour caractériser la prose de Djaïdani lui-même. « Toute sa tchatche n?a dans mes oreilles aucun sens, il y a du gitan, de l?arabe, du verlan et un peu de français ».

La spécificité de la littérature beure, vis-à-vis de la littérature maghrébine ou française, est définie par Zemrani en terme de production du discours : « le discours romanesque est produit par des étrangers qui parlent de l?intérieur de la culture centripète française. »16 Ce métissage culturel induit un mixage original en terme de langue, qui dans Boumkoeur s?effectue à plusieurs niveaux. Le lexique intègre des emprunts à différents registres, le style adopté varie en fonction du sujet raconté et s?apparente à différentes littératures, et plusieurs langues apparaissent sans qu?elles soient immédiatement hiérarchisées ou affectées à des parlures identifiables. L?absence d?ancrage dans un seul parler permet au narrateur une position protéiforme, et une énonciation qui adopte divers points de vue. Il use aussi bien d?un langage que nous avons analysé comme oral et familier que de tournures soutenues et d?expressions à la littérarité parfois incontestable. Dans le métissage de l?oralité, il introduit des mots de verlan (« tout cela aux keufs je l?expliquais » p 14 « Mon Daron, mon reup, mon père » p.10 ), d?arabe ( « obligé de sortir de la casbah » p.10), d?anglais francisé (« Gigolo, mon brother ? » p.12 ; « big shoes aux pieds » p.44 ; « are you ready ? »p.57), et d?argot de banlieues (p.12 : « le biz, c?est son nerf de guerre. »). Nous verrons par la suite que ces termes sont de fait intégrés dans le français populaire, et ne nécessitent aucun décodage pour le lecteur. Tout ce mixage référentiel s?intègre dans une langue qui se veut familière lorsqu?elle s?oppose au langage châtié de Molière et de la littérature légitime, mais qui se fait soutenue face au verlan de Grézi ou aux mots dialectaux du père, comme dans ce passage qui témoigne d?une maîtrise de la langue, du rythme des phrases,  d'une capacité à malaxer les mots pour en faire jaillir l'image et le sens :

« Grézi, tout de pierre vêtu, ne peut empêcher les battements de son c?ur. Le silence ne dort pas entre nous, il est mort, du moins je le croyais, le souffle d?un brin de bruit vient bourdonner à mes oreilles. » Les effets de rupture sont alors cultivés, car la juxtaposition des registres dit la déchirure langagière, la francité de marge qui s?exprime ici.

Yaz peut ainsi adopter un point de vue extérieur qui lui permettra, comme nous le verrons dans la dernière partie, d?organiser une polyphonie riche et diverse :

« La génération de Grézi a adopté un dialecte si complexe qu?il m?est pratiquement impossible de le comprendre. Les jeunes à présent se sont ghettorisés avec leur mixage oral qui les laisse sur la touche de l?intégration. » (p.45).

Par ailleurs, on assiste souvent à une mise à distance du discours, valorisé et pointé du doigt comme expression de l?autre, d?un « on » indéterminé dont on ignore si le narrateur s?inclue ou non dedans. « Et puis les longues tartines on s?en bat les couilles, comme on a l?habitude de dire quand on ne veut pas se prendre la tête avec des phrases prises de tête. »p.17. « comme on dit, c?est le geste qui compte ». p.11. Cette distanciation est en même temps une mise en exergue qui témoigne de la volonté de s?incorporer le langage des autres, tout en signifiant qu?on se l?approprie. L?expression lexicalisée « comme on dit » fonctionne à deux niveaux, puisque son objet signale l?emprunt conscientisé à la langue courante telle qu?elle est usitée (par un français correct ou par un langage plus familier indifféremment), et que l?emploi même de cette expression permet de se situer dans une pratique universelle de la langue française. Enfin, elle inscrit le discours au c?ur du récit littéraire, et porte encore une fois l?attention sur les phénomènes de nature langagière qui font la matière de l??uvre.

Ces changements constants de registres, de niveaux et de codes linguistiques franco-français laissent place à des passages aussi ludiques qu?émouvants, et donnent vivacité et tension au texte. Le texte est alors un appel à l?autre, à la langue de l?autre, qu?il s?incorpore dans un souci de métissage et de totalité verbale. Mais c'est cette même langue et ses ressources de modalisation qui vont permettre à l?auteur une mise en scène distanciée des images attendues du roman beur.

Rachid Djaïdani se situe d?emblée de l?autre côté du « fossé qu?il sera difficile de combler » entre « cette jeunesse » et la société française (préface de NTM). L?auteur construit tout d?abord son roman et son personnage principal selon l?impératif révolté du jeune beur de banlieue. L?éthos littéraire du narrateur, qui dessine en creux la figure de l?auteur, est donc légitimé par un certain nombre de procédés paratextuels et de mise en abyme. La préface insérée signée du groupe de rap NTM est à cet égard symbolique : elle semble « poser comme fondatrice une culture indépendante »17, et donner une crédibilité au roman :

« Le côté anecdotique, choisi par Rachid, pour raconter cette vie de quartier, rend son roman proche d?une authenticité qui n?appartient qu?à ceux qui naissent dans un bunker. »

Par ailleurs, c?est de l?intérieur que Yaz compte peindre le tableau de la banlieue, face à tous les usurpateurs qui utilisent le sujet de façon lucrative, et il revendique sa légitimité à le faire : « Comme c?est toujours les mecs de l?extérieur qui prennent l?oseille, en racontant des histoires, ou en faisant des films, moi aussi j?ai la haine, ma cité va craquer et ce n?est pas sur un air de raï que je ferai mon état des lieux. » Les caractéristiques stylistiques et langagières qu?il assume dans l?oralité de son roman participent du même projet, et marquent son appartenance à un monde marginalisé.

Pour autant, cet éthos se voit vite ébranlé par des éléments de fêlure qui signalent un détachement identitaire du narrateur, une prise de distance amusée, un regard critique et parfois acerbe. En effet, le personnage de Yaz s?avère être exclu de la sociabilité du quartier (« Ma réintégration dans les halls d?immeubles devint interdite, les jeunes se solidarisèrent contre moi » p.45), et lui-même peu habitué à l?usage du verlan : « Il me questionne, alors je mets en fonction mon décodeur de verlan, la phrase en clair correspond à ça ? ».

L?objectif défini par la mise en abyme que permet le personnage apprenti écrivain de Yaz se voit finalement ruiné au fur et à mesure d?un roman déceptif. Son affirmation: « Oh là ! raconter mes bla-bla familiaux, ce n?est pas trop le sujet de l?histoire que je veux faire naître sur mon calepin. Si ma vie personnelle avait pu intéresser ne serait-ce qu?une personne, je l?aurais su depuis belle lurette. Le sujet, c?est mon quartier. » (p.13) est vite démentie.  Si le sujet de départ est bien en effet collectif : raconter le quartier, les galères, les autres beurs, il cède vite place à une exploration intime de l?histoire de Yaz, car l?enfermement dont est victime le jeune narrateur est un piège qui le conduit à se rendre compte de l?inanité d?un tel projet. Par réfraction spéculaire, on devine ainsi derrière la métaphore du bunker le carcan de stéréotypes dans lesquels la littérature beur emprisonne l?auteur, qui possède comme seul recours le détour par l?imaginaire, l?exploration intime de ses rêves et de son intériorité. Son identité le rattrape, se libère et s?éclate dans le roman pour mieux s?y reconstituer. Ainsi l?observation ironique et mordante qui suit ce passage met-elle à jour la conscience que Djaïdani a de ces effets de mode et de clichés : « Faut en profiter, en ce moment c?est à la mode, la banlieue, les jeunes délinquants, le rap et tous les faits divers qui font les gros titres de journaux. » Ce faisant, l?auteur s?excuse presque d?exploiter un topos, et montre qu?il entend bien le dépasser. « Par contre, j?ai décidé moi de m?investir dans la construction de l?histoire, fonction qui ne sera pas des moindres. Aux faits, j?incrusterai une part de fiction pour le rêve, sinon, y a des chances que l?aventure soit à l?égal du temps qui pèse sur moi, c'est-à-dire gris comme froid. » (p.13).

Ces phénomènes de distanciation ironique vis-à-vis de sa pratique sont récurrents, et le lecteur constate au vu de cette esthétique déceptive que le cri de révolte des beurs de la première génération a changé. C'est dans une entreprise de jubilation sur le langage que les attentes trop évidentes d?un tel roman sont dépassées, et le souci constant de la forme et du fond qui sous-tend la créativité de Djaïdani se donne à lire au fil des jeux de langage et des passages aux accents poétiques. Mustapha Harzoune souligne l?inventivité qui caractérise les écrits beurs des années 1990, et la distance qui les sépare des clichés revendicatifs de leurs aînés : « Non seulement la façon d'aborder ces questions varie du tout au tout, mais certains jeunes auteurs [?] semblent prendre un malin et juste plaisir à se trouver là où on ne les attend pas, à brouiller les pistes, à se fondre dans l'univers de l'indifférencié ou, plus sûrement, à être fidèles à eux-mêmes. »18 Il affirme ainsi que ces personnages, tant fictionnels que renvoyant aux écrivains qui leur donnent vie, « ne sont plus réductibles à une identité ou à une composante exclusive de leur identité ». D?objet de discours, médiatisé et enfermé dans une image typique, Yaz se fait sujet de discours et son texte devient médiateur d?un vécu à valeur tant collective qu?individuelle.

En témoigne le passage incisif où le style simple et ironique de Yaz croque la mise en scène de la cité contre laquelle il se bat : il raconte ainsi l?interview qu?un journaliste tente de réaliser des « jeunes qui tiennent les murs », réunissant « tous les clichés miséreux rassemblés pour le scoop » (p.21). Face à la possibilité de récupérer par la suite la caméra, Yaz se place à son tour en position de témoin, mais refuse finalement le documentaire, auquel il aurait préféré quelques détails ludiques : une scène du genre comique ou une hypothétique partie de football.

C?est finalement dans le cadre énonciatif et les composantes discursives du récit qu?on constate la richesse et l?originalité d?un jeu de l?expressivité sur la langue française. Il s?agit dès lors d?examiner la portée esthétique de cette vivacité linguistique.

Boumkoeur est-il un document  sociolinguistique ou l?écrit d?une littérarité ?

La banlieue est un lieu plurilingue, riche en analyses pour le linguiste. Tout texte qui prend comme sujet la banlieue se doit d?adopter la parole de celle-ci, parole souvent plurielle, langue aux arborescences multiples qui est un terreau idéal pour une investigation critique à partir des catégories de la linguistique. D?autant que la problématique de la langue telle qu?elle se présente dans le roman beur vient appuyer cette nécessité d?une considération multilingue. Crystel Pinçonnat19 parle d?un type spécifique de bilinguisme à propos de la langue dans le roman beur, bilinguisme qu?elle nomme « ponctuel », et introduit la notion de « métissage linguistique ». Dans ce type de roman, nous dit-elle, les écrivains travaillent sur l?interpénétration des langues, ils jouent sur l?interaction de syntagmes étrangers dans la langue du pays d?accueil, pratiquant ainsi un véritable « mélange apprivoisé », qui ne produit pas toutefois un vertige syncrétique qui menacerait de détruire les codes de la communication. Crystel Pinçonnat ajoute que ce brouillage entre les différents codes linguistiques va souvent de pair avec une nouvelle position idéologique quant aux problématiques de la langue. Par ce procédé poétique, les jeunes romanciers beurs démontrent stylistiquement la vacuité du concept de « pureté de langue ». Contre la notion de racine, ils mettent alors en place une nouvelle stratégie où le « chez nous » se définit par « une façon de parler », façon de parler qui loin de reproduire la langue des banlieues, en joue, se l?approprie et la met à distance.

Cette analyse réalisée par Crystel Pinçonnat nous a amenés à nous poser la question suivante à propos de Boumkoeur : qu?en est- il de la position de Rachid Djaïdani par rapport à cet usage de la langue, des langues, chez les romanciers beurs ?

En effet, Rachid Djaïdani ne possède pas, comme nous l?avons vu et comme il le dit lui-même, la maîtrise de l?arabe. Il semble donc que ce concept de « métissage linguistique » avancé par Crystel Pinçonnat ne puisse lui être appliqué. D?autant que les romanciers beurs, contrairement aux écrivains de la génération précédente, ne se réclament plus d?une quelconque nostalgie quant au pays des origines. La scission semble consommée entre l?héritage linguistique familial, qui n?est souvent pas perpétué, et une position nouvelle qui tend à intégrer la norme linguistique dominante, dans une pratique essentiellement monolingue. Mais il y a paradoxe. La critique littéraire jugeant Boumkeur en a souvent parlé comme d?un « témoignage réaliste sur la France des banlieues, servi par une langue singulière, mixage oral, violent, inventif, fait de gitan, d?arabe, de verlan, d?anglais et de français ». Le bilinguisme voire le plurilinguisme de Rachid Djaïdani semble ici effectif, le terme de « mixage » nous renvoyant d?emblée à la notion de « mixed language » que reprend le linguiste J. N. Adam20. Légitimité du discours critique et non-lieu de notre avis de lecteur ? C?est pour mettre fin à ce paradoxe que nous avons décidé de réaliser une analyse du langage dans Boumkoeur, en utilisant des notions que nous empruntons à la linguistique et qui ont pour but de permettre de définir l?essence plurilingue d?un texte donné. Notre étude sera guidée par la question suivante, qui reformule la thèse de Crystel Pinçonnat et que nous entendons discuter : la notion de bilinguisme, qui est un principe fondamental du roman beur, a-t-elle sa place dans Boumkoeur ?

Le parler bilingue se caractérise par la présence de marques transcodiques qui comprennent des phénomènes distincts : l?alternance codique et l?emprunt en sont les principaux. Ce sont ces phénomènes que nous allons essayer de relever et d?analyser dans Boumkoeur à partir d?un corpus représentatif des particularités de la langue dont use Rachid Djaïdani. Si notre analyse s?avère valable, nous pourrons valider les propos de Crystel Pinçonnat et conclure avec elle à la « nature » fondamentalement beur de la langue telle qu?elle est travaillée dans Boumkoeur. Dans le cas contraire, l?hypothèse d?un dépassement de cette langue sera à envisager, ainsi que l?affirmation d?un nouveau positionnement de l?auteur quant à la problématique linguistique du roman beur.

Les catégories d?analyse dont nous nous servons ici ont été forgées essentiellement pour une analyse des pratiques orales du bilinguisme. Leur application à l?écriture de Rachid Djaïdani permet donc de valider l?hypothèse d?une écriture de l?oralité dans Boumkoeur.

Nous sommes en présence d?un écrit où s?opère essentiellement un travail de rencontres entre codes linguistiques différents à un niveau intraphrastique, entre items lexicaux de deux langues distinctes.

L?emprunt est un processus par lequel les formes lexicales de la langue source sont transférées en langue cible. Il s?accompagne d?adaptations phonétiques et syntaxiques du mot qui permet son intégration morphologique ou phonétique. Notons que ce phénomène d?adaptation intègre plus au moins fortement l?item à la phrase française. Ce que dit Adam dans son ouvrage21: « (borrowing) [l?emprunt] depends partly on the degree of integration of the transferred term into the receiving language. » (p.26)

Les emprunts à l?anglais :

*BEST OF : « il me livrera le best of du carnet de bord de sa mémoire. » (p.51) / « les histoires de quartier du best of de la mémoire de Grézi partent en fumée. » (p.158)

*BIKERS : « les deux bikers d?une vingtaine d?années ont des visages sympatoches » (p.22) Intégration forte : le terme anglais est déterminé par un article et un adjectif qui l'intègre à la morphologie de la phrase française.

*BLACK : « le taf au black explique l?argent liquide » (p.12) / « il réintroduira la tige black dans le paquet » (p.3) / « il me tend un black sac plastique verrouillé à triple n?ud » (p.105) / « ça peut paraître cliché de dire qu?il était black africain mais c?est la vérité pure » (p.107)

*DEAL : « il fut un temps où il était dealeur, mais il s?est rangé, dealer c?est du bénéf sur terre, mais ça se paye toujours en enfer » (p.12) L?emprunt permet ici la création d?un substantif déverbal et d?un verbe selon les terminaisons propres au français.

*DOPE : « mon ombre dopée comme Carl Lewis » (p.57) On a ici création d?une forme adjectivée, avec accord au féminin singulier avec le nom antécédent selon les règles grammaticales du français / « de bonnes vitamines qui me dopent comme j?aime » (p.95) L?emprunt crée une forme verbale.

*FUNKY : « ma vie est funkie » (p.7) On a ici création d?une forme adjectivée selon la terminologie française. On ressent bien toute la distance ironique que contient l?emploi de cet emprunt qui est devenu expression figée.

*GOLD : « une compétition de plus, et une victoire gold supplémentaire. » (p.67)

*RACKET : « Les piles de la pendule ont été rackettées pour son walkman » (p.44) / « une seule fléchette aura suffit à lui racketter ses neufs vies » (p.123)

*SHAKE : « Yaz (?) tu me shakes ou tu veux me coller un vent? » (p.32) On note l?adaptation de l?emprunt au système verbal français avec la présence de la désinence de la deuxième personne du singulier. / « il me tend son poing, pour le shake, désormais c?est poing contre poing que ça se passe, le salut, c?est l?évolution de la culture-citée pompée dans les ghettos noirs américains. » (p.32) / « la poignée de main est suivie d?un regard intense, c?est la marque du respect de l?autre. (?) Pas de shake. » (p.138)

*SISTER : « La sister haineuse a élevé la voix contre le daron. » (p.124) Le terme anglais est très intégré au système français du fait de la présence de l?article défini, ainsi que de l?adjectif qualificatif accordé au féminin singulier. / « Il paraîtrait que la sister fugueuse travaillerait comme caissière dans une supérette. » (p.125) Idem

*SHOOT : « il en avait marre de me voir shooter la balle avec mes fausses socquettes oranges » (p.11) Ici, l?emprunt permet la création d?une forme verbale / « je shoote à grands coups de Fuck the racism les trois piles de tracts » (.p.3) Idem, avec actualisation de la déclinaison verbale propre au français. / « malgré nos efforts, sans cesse replongeait la shooteuse dans le bleu de ses réseaux veineux » (p.34) On a ici la création d?un substantif féminin.

*SNIF : « A l?instant où on lui a fait snifer de l?eau de Cologne, maman retrouva ses esprits. » (p.25) L?emprunt crée une forme verbale française.

*SPEED : « une orangeade glacée n?était pas de trop pour speeder son coup de crayon » (p.84) Idem.

*STATES : « je vais pouvoir faire une grave fête et me payer un voyage aux States » (p.105) / « j?avais déjà acheté un billet d?avion pour les States » (p.127)

*WELCOME : « ses lèvres généreusement baveuses afficheront un sourire de welcome à mon pénis » (p.54)   Le terme anglais est ici intégré à une expression figée en français.

Le narrateur utilise en majorité des déverbaux, le passage de verbes anglais à des substantifs ou des adjectifs français étant le phénomène d?intégration majoritaire, qui se fait donc souvent par dérivation.

Cas particuliers :

*« Alors c?est en pivert que s?est transmuté mon pied droit qui martèle la doors d?un rythme endiablé » (p.58) Nous sommes ici en présence d?un manque de compétence et d?un excès de zèle de Yaz qui s?est fait piéger par le système phonique anglais : le morphème « s », très usité par ailleurs, n?existe pas dans ce cas en anglais.

*« Il n?est pas impossible que la spiderman prisonnière de mon index gauche se soit conduite en traître à mon égard » (p.77) Yaz crée ici un néologisme par manque de compétence et interférence avec le cinéma.

*« Les rares fois où le Daron a mis ses pieds à l?école, ce fut avec sa société Jan Brinos frères Associés qui le transforma en Mister Clean des coups d?éponge sur les plafonds » (p.122) L?expression anglaise est un calque du français « Monsieur Propre », une traduction qui reproduit par transparence la construction syntaxique et sémantique du français. De même dans la phrase : « pour faire passer son temps dans ses oreilles au rythme de ses cassettes de R.A.P. « for me pour speek in english », je vais prendre le dictionnaire de Sonia » (p.53) On note la juxtaposition et la confusion des deux systèmes de construction verbale français/ anglais. C?est pourquoi dans les deux cas, nous faisons l?hypothèse, selon des degrés différents certes, de la présence du phénomène d?interférence. J.N. Adam définit ainsi ce phénomène: « interference imposes on a word or a group of words of language A a morpheme or sound or syntaxic structure or spelling from B. »22 L?interférence se fait ici au sein d?un syntagme qui relèverait plus de l?alternance codique mais que les guillemets discrimine comme expression figée empruntée.

L?alternance codique est un phénomène de langue qui fait alterner deux codes, deux langues différentes à l?intérieur d?un même discours. Elle est ici intraphrastique : c?est au sein d?une même phrase que l?on passe alternativement d?une langue à l?autre.

Alternance codique et syntagme nominal et verbal :

On trouve : « Grézi aurait été un champion au ball-trap sur cible mouvante. No comment. » (p.63) et : « Je me prépare à taper une pointe: ?Are you ready?? » (p.57) où la mise entre guillemets souligne syntaxiquement le phénomène d?emprunt. Vient ensuite : « Je shoote à grands coups de Fuck the racism les trios piles de tracts » (p.83) et : « Une vraie grand-mère, ce mec généraliste de la médicine qui avait été très piquant le jour de ma prise de sang HIV aux analyses top secret. » (p.156)

On se rend bien compte que ce sont là des alternances avec des expressions figées qui s?apparentent à des stéréotypes de langue. Adam parle dans ce cas spécifique de « ready-made phrase » ou de « formula-switching ». Il précise ces notions en citant une remarque de Poplack: « formula-switching » constitues rather an emblematic part of the speaker?s monolingual style » (nous soulignons).

Ce type d?emprunt est beaucoup plus rare dans le texte de Boumkoeur, comme nous allons le voir. Une présence moindre qui impose la nécessité de reproblématiser la place de Rachid Djaïdani dans le domaine du roman beur.

*BLED : « Maman me racontait des histoires sur les sorciers marabouts du bled » (p.55) / « Au bled, les gants raccrochés, la blessure ne s?arrangea guère. » (p.102)

*CAÏD : « les caïds te le répètent » (p.26) / « certaines places sont réservées à certains caïds » (p.138)

*CASBAH : « je n?avais pas le temps, obligé de sortir de la casbah rapidement » (p.10, voir aussi pp.24, 35 et 123).

*KIF : « L?armée, j?irai jamais, faire la guéguerre ce n?est pas trop mon kif. » (p.50)

*SHITAN : « le brûlage du caca de shitan qui déjà dégage une odeur paradisiaque pendant le mélange » (p.33) alternance de compétence, désigne une réalité étrangère et empêche le néologisme.

*ZETLAH : « observer si ton anus ne dissimule pas de chichon, shit zetlah » (p.152) alternance de compétence, désigne une réalité étrangère et empêche le néologisme. Sorte de procédé de traduction postposé

Crystel Pinçonnat parle dans ce cas d?une résistance du lexique liée à la « grille de perception maghrébine du monde ». Les mots et expressions arabes désigneraient une réalité sociologique considérée, le nom recouvrant souvent une réalité spécifique que ne saurait rendre la traduction, dans une forme de résistance linguistique et culturelle. Rien d?exotique donc dans cette pratique. Pourtant, si c?est bien le cas pour « shitan » ou « zetlah », la majorité des termes que Rachid Djaïdani emprunte à l?arabe sont des termes stéréotypés, pour la plupart appartenant désormais au français argotique. De plus, aucune trace de la maîtrise de la graphie arabe dans le texte. On peut alors faire l?hypothèse d?une distance ironique entretenue par l'auteur quant à cette utilisation de mots surcodés dans le texte, ainsi que de la présence d?une sorte d?auto-critique, le répertoire linguistique arabisant du narrateur se réduisant à ce lexique fortement marqué, comme pour nous rappeler avec humour la technique surfaite des morceaux de réel. Cette ironie, alliance d?une posture désinvolte et du constat d?une lacune s?exprime clairement lorsque Yaz, le narrateur, parle de son père : « Il a dit des mots dans sa langue que je ne comprends pas. Je suppose que ça devait être des moqueries. Faudrait que j?apprenne à parler le dialecte de mes ancêtres (?). » (p.122)

Notre étude nous permet de noter la présence majoritaire d?une alternance français/anglais dans Boumkoeur, et ce, même si nous avons laissé de côté des termes tels que look, squat, relax, flash, hard. Des termes qui, tout en n?étant que peu fréquemment employés, nous sont apparus eux-aussi comme surcodés. C?est un aspect qui relève plus du stéréotype de langue que d?une quelconque compétence bilingue de la part de l?auteur. J.N.Adam fait la remarque suivante quant à ce phénomène de langue: « there is (?) so little empirical data available about a practice which is undoubtely familiar all over the world, particularly in this age of globalisation, when English is intruding heavily into dozens of languages. » (p.298 de l?ouvrage déjà cité). L?anglais prend le dessus de l?arabe et impose sa présence à tout le texte. Mais loin de voir là un possible changement dans la nature d?un bilinguisme qui se doit d?être subséquent à l?écriture de tout roman beur, cette alternance de langue n?est elle-même que fait de société, comme on peut le noter après la remarque de J.N. Adam. La présence des langues étrangères dans le roman se réduit ainsi à un pur phénomène de mode.

Dans sa thèse, Rania Adel Hassan Amed parle pourtant à propos de la langue de Boumkoeur d?un « bilinguisme asymétrique », affirmation que nous pouvons réfuter à partir des considérations que nous tirons de l?analyse et du relevé qui précèdent. En effet, peut-on encore légitimement parler de bilinguisme, serait-il asymétrique, quand celui-ci se réduit à l?emprunt de syntagmes qui sont en majeure partie des mots simples ou items lexicaux, mots qui sont pour la plupart entrés dans la langue française et, de plus, issus de l'anglais ? Certes, il y a le manque de compétence de Yaz, qui ne maîtrise pas parfaitement les deux codes et qui est amené parfois à utiliser la commutation des codes en violant certaines règles de production. L?exemple de « la doors » est représentatif qui actualise ce que G. Lüdi a nommé « une stratégie compensatoire interlinguale. » Mais tous ces emplois demeurent souvent induits par un mode de représentation du réel stéréotypé. Si notre relevé ne se voulait pas exhaustif c?était sciemment, car nous avons jugé inutile d?analyser le fonctionnement de termes tels que « hard » ou encore « relax » qui sont désormais dénués de toute spontanéité bilingue car entrés comme anglicismes dans la langue française. Rappelons à toutes fins utiles que le bilinguisme est, dans l'idéal, le fait de pouvoir s'exprimer et penser sans difficulté dans deux langues avec un niveau de précision identique dans chacune d'entre elles. Tout au moins le bilinguisme dit « passif » présuppose-t-il la compréhension de la langue « étrangère » même si elle n?est pas parlée. Ce qui n?est pas le cas de Yaz. Boumkoeur déplace alors la problématique bilingue du roman beur sur une ligne de partage essentiellement franco-française. Un déplacement qui nous amène à émettre l?hypothèse selon laquelle la situation linguistique dans le roman serait non plus bilingue mais essentiellement bidialectale.

On apprend de l?histoire de la langue française que les années quatre-vingt-dix ont vu l'éclosion d'un nouveau type de parler, notamment entre les jeunes, que certains linguistes ont appelé le Français Contemporain des Cités ou FCC23. D?abord phénomène de mode, il est peu à peu devenu le témoin d'une « convergence sociolinguistique générationnelle dans la connaissance et l'emploi de certaines formes lexicales, repérées comme périphériques d'un point de vue normatif », comme le dit Henri Boyer24. Rania Adel Hassan Amed parle dans sa thèse du FFC en ces termes (elle cite Pascale Certa25) : « c'est ainsi que la langue de la rue qui se pose en opposition au français soutenu que l'on apprend à l'école a commencé à imposer son lexique et à dicter l'évolution de la langue française. » Une évolution qui passe par ce phénomène que Patricia GEESEY a nommé « réappropriation linguistique »26.

Dans Boumkoeur, cette réappropriation linguistique propre au FFC se manifeste par la présence de ces deux formes non standard du français que sont l?argot et le verlan. Ce sont là des formes linguistiques dotées d?une forte autonomie du fait qu?elles sont très codées et fonctionnent selon des règles spécifiques qui les distinguent de la norme. Elles constituent un terreau fertile pour le français des cités, qu?elles tendent à faire évoluer vers une forme de langage à part entière. Ainsi, Jacqueline Billiez, prenant en compte les facteurs sociaux et culturels propices à la manifestation de ce langage a pu dire27 : « ce langage -cette façon de parler spécifique avec ses alternances de langue selon les événements de langage- nous l?avons dénommé parler véhiculaire interethnique pour l?opposer à la fois au français scolaire ou véhiculaire et au vernaculaire intra-familial. Ce dernier nous paraît à l?évidence beaucoup plus marqué par la langue d?origine même si parents comme enfants pratiquent les usages alternés des deux codes que les jeunes qualifient de mélange. »

La langue de Boumkoeur semble présenter effectivement ce caractère d?insurrection contre le français standard. Cependant, alors que nous avions abandonné le qualificatif de « bilinguisme » pour définir la nature de cette langue, celui de « parler véhiculaire interethnique » serait-il plus pertinent ? Le mélange est en tout cas effectif entre l?argot, le verlan et le français.

En reprenant la terminologie du linguiste J. Gumperz, on peut d?emblée se demander si l?argot est une langue à part entière ou bien une autre forme de la langue française. En effet, la notion de « répertoire linguistique » avancée par J. GUMPERZ nous semble pouvoir correspondre à un des aspects du positionnement du narrateur, alternant code-switching et usage de différents registres de français, ce qui résout par là le problème du bilinguisme en le corrigeant en situation bidialectale. Car le répertoire linguistique est l?ensemble des lectes dont dispose un individu que ce soient des langues différentes ou des variétés différentes d?une même langue, sachant que le passage d?une langue à l?autre peut se décrire comme le passage d?un registre de langue à un autre registre de langue.

Sociolecte dans le roman, l?argot est défini par Rania Adel Hassan Amed dans sa thèse à partir de la notion de « contre-légitimité linguistique ». On sait que cette pratique linguistique qui est celle de la cité est dans une large mesure écartée de la langue officielle, et ce à cause des facteurs extralinguistiques qui ont contribué à en former les caractéristiques principales, comme nous avons pu le voir lorsque nous avons interrogé le problème de la présence d?un bilinguisme dans Boumkoeur. Rania Adel Hassan Amed écrit encore que les habitants des cités « s'approprient la langue pour en extraire une autre à la fois différente de la forme véhiculaire et des parlers vernaculaires ancestraux. (?) Une interlangue (?) (voit ainsi) le jour. » La terminologie de Gumperz mérite d?être ici évoquée qui souligne la dichotomie qui existe entre le « we code », ou la langue du groupe et des activités informelles, langue minoritaire, et le « they code », ou français normé dans notre texte, autrement appelé dans Boumkoeur, « la langue de Molière ». Une appellation qui dit bien la manière dont Yaz et Grézi perçoivent le français normé.

Dans le cas de Rachid Djaïdani, ce sont donc ces interactions entre différentes formes de français, notamment l?argot et le verlan, qui acquièrent de l?importance. Ce sont là des pratiques linguistiques qui diffèrent fortement du français standard. La situation de scission se fait alors à l?intérieur même du français, ce qui déplace la problématique d?un bilinguisme français/arabe qui nous avait été présentée comme essentielle au roman beur. Boumkoeur pose un problème de taille : celui des critères de définition d?une langue, des degrés d?autonomisation nécessaires à un lecte pour qu?il se détache en tant que langue à part entière, avec toute la charge symbolique d?une telle indépendance. L?argot des cités se présente dans le texte comme la « langue » du narrateur. Nous mettons ici des guillemets car nous somme conscients de la divergence des avis quant à la nature de l?argot (divergence que nous retrouverons d?ailleurs à propos du verlan), ce qui rend cette utilisation intéressante pour notre problématique qui est celle d?un déplacement/dépassement qu?opérerait Rachid Djaïdani quant à la réduction de son ?uvre à une production circonstanciée, pur produit d?un discours politique. D?autres interrogations y sont en effet à l??uvre.

Une petite mise au point définitionnelle s?impose ici. L'argot qualifie une langue qui n'est pas standard. Les mots grossiers et vulgaires y sont de mise. Le Robert nous donne « langage cryptique des malfaiteurs, du milieu ; « langue verte » ; « langue familière contenant des mots argotiques » ; ou encore « langage particulier à un groupe de personnes, à un milieu fermé. »

L?argot est très fréquent dans Boumkoeur, ce qui semble d?abord tendre à hypothéquer la question de sa littérarité éventuelle. Nous en avons relevé les emplois principaux et récurrents que nous avons organisés selon une classification dont nous reprenons les grandes lignes à Rania Adel Hassan Amed. Dès la première page, se trouve synthétisé le rapport à la langue qu?a choisi Rachid Djaïdani. Le narrateur nous dit d?emblée : « Comme je suis au chômage, il est préférable que je ne reste pas trop longtemps au plumard. Mon Daron, mon reup, mon père a vite fait de criser : cinq ans de chomedu au palmarès. J?ai stoppé l?école à seize piges, maintenant j?ai vingt et uns hivers, avec l?impression d?en avoir le double tellement le temps stationne. » Yaz décline successivement le substantif « père » en argot, en verlan, puis finalement en français avec ce procédé de « traduction » que permet l?usage de la virgule. On aura noté le passage de « piges » à « hivers » et de « chômage » à « chomedu », de l?argot à un français plus soutenu. Un passage que l?on retrouve fréquemment dans le texte, souvent à l?intérieur d?une même phrase. Ce qui nous fait dire que nous avons ici un échantillon de l?éventail de registres qui se déploie dans Boumkoeur, du « répertoire linguistique » du narrateur.

On trouve daron, très fréquent (écrit « Daron », p.14, p.24, p.25, p.35, p.89, p.99, p.107, p.124) ; fiston (p.10) ; frangin (p.35, p.78) ; le fraternel/le paternel (p.35) ; môme (p.137) ; vieux (« mes vieux », p.29, p.67), ainsi que piaule (p.29) plumard (p.10) et baraque (p.44).

On a costard (p.16) ; froc (p.26, p.152) et fut (p.32) ; pompes (p.30, p.57, p.154) et grolles (p.63) ; sapes (p.154, p.87) qui donne sapé (p.9) et se saper (p.32) ; survêt (p.44, p.96).

On trouve tifs (p.60) ; gueule (p.48, p.68, p.100, p.120, p.127), face (p.21, p.104) et tronche (p.62, p.103) ; pif (p.130) ; crocs (p.17) ; bec (p.21) ; feuilles de chou (p.30) ; bide (p.87p.97) ; paluches (p.123).

Puis trou de balle (p.86) et fion (p.29) ; queue (p.52, p.150), zob (p.150), quéquette (p.62), burnes (p.24) ; chibre (p.143), coucouniettes (p.50), zizounette (p.54), et couilles (p.74, p.92, p.130, p.144, p.153) qui se décline en l?expression avoir les couilles (p.59) ; poupoune (p.86) ; cul (p.10, p.30, p.56, p.64, p.99, p.102, p.104, p.133, p.134) et bonda (p.31) ; nichons (p.17, p.66).

Les individus : mec (p.70, p.45, p.18, p.136, p.138, p.147, p.156, p.157) et gars (p.47) ; pote(s) (p.9, p.13, p.43) ; gonzesse (p.38, p.94) et minettes (p.31).

La police : keuf (p.41, p.119), condé et schmitt sont successivement déclinés au sein d?une même phrase : « Je t?ai pas vu sortir, la vie de ma mère, j?ai cru que t?étais un keuf, un condé, un schmitt. » (p.41)

La drogue : cachetons (p.89) ; pétard (p.38), joint (p.34) et tige (p.33, p.105) ; piquouzes (p.24) ; came (p.22) ; toxico (p.36, p.123) ; et accessoirement poivrot (p.61) cuite (p.103).

Le racisme : bicot (p.61), négro (p.61), blackos (p.86) et facho (p.61).

Réalités quotidiennes et soiales : balais (p.26) et piges (p.10) ; capote (p.86) ; gaule (p.55) ; castagneur (p.120) ; baratin (p.85, p.119) ; pagaille (p.65) ; poisse (p.113) ; kif (p.50) ; zyeutement (p.42) bouffe (p.153); plastoc (p.43) et toc (p.148) ; hosto (p.37, p.124) ; caisse (p.27) ; matos (p.18) ; coup (p.138) et embrouille (p.137) ; flingue et pétard (p.26) ; guéguerre (p.50) ; taf (p.12, p.77) et boulot (p.72) ; tune (p.12, p.16 p.18, p.52, p.106), oseille (p.12, p.18, p.76), rond (p.18), balles (p.105, p.116) et pépettes (p.12)

Des adjectifs : riquiqui (p.127) ; crado (p.142) ; nickel (p.142) ; sympatoche (p.23) ; bonne (p.52) ; vert (p.61) ; cramé (p.55) ; bidon (p.32, p.148).

Baiser (p.86, p.136) qui donne le déverbal la baise (p.12) ; bigophoner (p.12 ); bouffer (p.56) ; buter (p.49) ; cailler (p.9, .p.9) ; causer (p.75) ; chialer (p.15) ; chier (p.33, p.70, p.72) qui se module en chiotte (p.146) ; chiper (p.35) ; choper (p.74, p.88, p.122) ; coltiner (p.121) ; cramer (p.120) ; dégager (p.125) ; dégommer (p.64) ; dégringoler (p.30) ; dicaver (p.120) ; écoper (p.35) ; engueuler (p.91) ; entuber (p.144) ; filer (p.84) ; friter (p.50) ; galocher (p.72) ; glander (p.110) ; gueuler (p.25, p.159) ; jaser (p.15) ; louper (p.57) ; lorgner (p.57) ; mater (p.48, p.74, p.75, p.78, p.120) ; moucharder (p.80) ; niquer (p.115) ; peloter (p.53, p.88) ; piger (p.45) ; pisser (p.95, p.113, p.52) qui donne la pisse (p.20, p.127, p.131) ; pioncer (p.64) ; refourguer (p.52) ; schlinguer (p.52) ; scotcher (p.44) ; siphonner (p.114) ; se branler (p.49) qui donne la branlette (p.55, p.143) ; se déchirer (p.35) ; se défouler (p.56) ; se défroquer (p.73) ; s?embrouiller (p.24) ; s?enfiler (p.125) ; se gober (p.20) ; se planquer (p.79) ; se ramasser (p.114) ; taxer (p.116) ; tourniquetter (p.67) ; zapper (p.28).

avoir de la chatte (p.32) ; cabosser la boule (p.42) ; coller un vent (p.32) ; dessouder le cerveau (p.41) ; passer à la casserole (p.144) ;puer le fauve (p.81) ; se branler (p.49) qui se module en branlette (p.55, p.143) ; s?en battre les couilles (p.17) ; se faire enculer qui se module en enculer (p.44, p.147) , enculé (p.47, p.114) et enculeurs (p.144) ; prendre une claque (p.51) ; se faire mettre (p.144) ; se faire emballer (p.33) ; se prendre la tête (p.16) ;se faire casser (p.80) ; se foutre de (p.109, p.128) et se foutre (p.19, p.80) qui se module en foutre (p.47, p.64, p.80, p.101), foutu (p.42) et foutage de gueule (p.152) ; se la péter (p.32, p.47, p.143), se la raconter (p.120) ; taper la fuite (p.49), taper une pointe (p.55) ou taper un somme (p.64).

On trouve coups de queue (p.79) ; à poil (p.88, p.147) ; mal barré (p.23) ; pile poil (p.18) ; que dalle (p.31) et avoir la dalle (p.52) ; ça fait un bail (p.88) ; dans les vapes (p.24, p.68) ; en pétard (p.83) ; bombe de?(p.26) ; grave mortel et c?est grave (p.29) qui est aussi adverbe comme dans l?expression puer grave (p.52) ; à fond les oreilles (p.31) ; y a pas à chier (p..33) ; ça caille (p.0) ; un coup de bourre (p.40) ; un mal de crâne (p.41) ; à perpète (p.49) ; un perçage de rondelle (p.53) ; une touffe veuch (p.88) ; taupe de taulard (p.50).

On a con, conne, connard (p.42, p.48, p.98, p.110, p.129, p.134) et connerie (p.29) ; merde (p.34, p.44) qui donne les expressions être dans la merde (p.64), sortir de sa merde (p.63) et le verbe merder (p.142) ; « putain de ta mère de bandage de mes couilles ! » (p.43) ; tête de n?ud (p.52).

Les injures faites aux femmes : pétasse (p.26) ; poufiasse (p.26) ; putain (p.82) ; pute (p.47, p.50, p.139) ; salope (p.130).

Les injures faites aux hommes : baltringue (p.48, p.50) ; bouffon (p.113) ; cinglé (p.50) ; enfoiré (p.63) ; flipette (p.49) ; gigolo (p.12) ; lâcheur (p.155) ; naze et numéro (p.150) ; parano (p.55) ; taré (p.48) ; salaud (p.127); taroupette (p.32, p.50); trompette (p.50) ; trouillard (p.108).

On trouve taule (p.61, p.128) qui se décline en taulard (p.88, p.136, p.152, p.157) ; maton (p.137, p.145, p.147) ; cantiner (p.135, p.145) ; zonzon (p.148).

On peut noter que le français contemporain des cités use d?un véritable mélange créatif alliant usages typiques de l?argot traditionnel28 (majoritaire) et argot de la banlieue. On retrouve ainsi les procédés morphologiques de l?argot (apocope et aphérèse, redoublement, suffixation affranchie, emprunts provinciaux et étrangers) associés aux créations contemporaines (comme dicaver, puer grave ou bombe de?).

L?argot est bien cette langue en marge, cette langue des marges qui s?inscrit dans une dynamique de renouvellement du français. L'écriture de Boumkoeur est pour ainsi dire une écriture de cette nouvelle périphérie qu?est devenue la banlieue, une écriture périphérique qui met en jeu une langue périphérique. Toutefois, si se servir de l?argot c?est dépendre d?un héritage socio-historique, il n?en reste pas moins que l?héritage est aussi littéraire. Que l?on pense à Balzac, à Hugo ou à Céline et l?on pourra dire avec Alphonse Boudard29 que « la langue verte ne reste pas qu?un instrument oral. Elle entre en littérature sous les meilleurs auspices. » Il faut donc, ajoute-t-il, « ne pas négliger, avec toute la science du monde, la fantaisie souveraine que proclame l?argot puisque, au-delà de sa vocation au secret, de ses innombrables racines, de la nécessité où il est de combler des secteurs négligés ou méprisés par le vocabulaire académique, il se nourrit surtout d?une superbe et savoureuse volonté de conter. » Il n?est que de noter au passage que l?argot fait un grand usage de manipulations qui affectent le signifiant, procédé qu?affectionne la poésie, et sur lequel nous reviendrons.

Le verlan est un phénomène linguistique historiquement et sociologiquement analysé comme parisien et banlieusard. C?est un jeu avec le langage qui fonctionne un peu comme un encodage du français en reversant les syllabes d?un mot. Qui dit encodage dit une fois encore émergence possible d?une nouvelle langue. Nous retrouvons en effet les mêmes questions qui se posaient à nous avec l?argot à ceci près que le verlan a la capacité d?encoder tous les mots de la langue française. Il fonctionne lui aussi selon des règles strictes qui ont donné bien souvent des grammaires et autres manuels d?apprentissage. On peut donc se demander si il faut considérer le verlan comme une langue ou un simple moyen de mettre en valeur certains mots. Ce qui, dans un cas comme dans l?autre, peut souligner la présence de la conscience d?une spécificité linguistique dans Boumkoeur.

C?est dans notre texte la langue de Grézi qui se voit discriminée comme langue singulière, avec des codes et des fonctionnements propres qui demeurent souvent obscurs à une première lecture du texte. Notre relevé est ici exhaustif car il a voulu se faire représentatif de ce métadiscours qui pointe l?encodage comme créateur d?une situation de non-compréhension, d?une possibilité d?échec dans la communication. La nécessité de prendre en compte la présence d?un lecteur « du centre », ne parlant pas ce langage de la cité, a ainsi été clairement pensée.

Dans ces passages, le narrateur tente de s?improviser traducteur. Il se présente lui-même comme « décodeur », un interprète en situation diglossique. Ainsi lors d?un de ses dialogues avec Grézi il écrit : « Grézi me questionne, alors je mets en fonction mon décodeur de verlan, la phrase en clair correspond à ça » (p.20). Et il nous donne après les deux points la phrase en traduction « française ». Parfois, le discours de Grézi est simplement marqué par « il dit », le procédé de traduction devenant présupposé. Mais dans nombre de passages la diglossie est fortement soulignée par les considérations métadiscursives du narrateur. « Toute (la) tchatche (de Grézi) n?a dans mes oreilles aucun sens, il y a du gitan, de l?arabe, du verlan et un peu de français », écrit-il. Et il ajoute plus loin : « La génération de Grézi a inventé un dialecte si complexe qu?il m?est pratiquement impossible de le comprendre. Les jeunes à présent se sont ghettorisés avec leur mixage oral qui les laissent sur la touche de l?intégration. N?ayant rien pigé, je fais comme à l?école. » Yaz dit ici à Grézi qu?il «  parle trop comme un Martien ». Il constate que «  la réplique (de celui-ci) est la même que celle d?un professeur à un cancre, j?ouvre les guillemets : « Va te faire enculer, je suis calme, si tu comprends pas ce que je te dis, moi je vais pas te parler à la Molière pour te dire que j?ai tué un mec. » (p.45) La situation hiérarchique s?inverse ici entre langue basse et langue haute : le professeur est celui qui détient le savoir du parler verlan. Parfois, Yaz lui-même s?essaye au verlan : « Grézi, ouvre, c?est Yaz?zi va virou la teport c?est Yaz que j?te dis, fais pas le baltringue. Phrase décodée : Grézi, ouvre, c?est moi Yaz, je suis de retour, fais pas l?imbécile, ouvre. » Ce passage est suivi d?une réflexion de Yaz sur sa pratique langagière : « Je m?efforce de ne plus tchatcher verlan, mais quand je suis énervé, il réinvestit ma langue. Mon verlan comparé à celui des mecs de Grézi, c?est niveau CP. Leur verlan à eux c?est niveau bac+10 dans l?université de la rue. » (p.58) On peut noter ici l?actualisation de l?opposition entre le « we code » (le verlan) et le « they code » (cette « langue à la Molière »). Où l?on remarque que paradoxalement le narrateur se situe du côté du second code linguistique, du français normé quand il se trouve dans une situation de dialogue avec Grézi. L?italique permet de souligner la situation de scission linguistique interne à la pratique du français.

Deux passages sont encore très caractéristiques, que nous citons comme tels (c?est toujours Grézi qui parle) : « les policiers ont interpellé mon père pour le ramener au poste, pour une garde à vue. On m?a dénoncé, ça devient dangereux, la police va me mettre la main dessus. Phrase non décodée : Les keuf, ils ont pécho mon repeue pour le menra au stepo, en garde à uv. On m?a lanceba, c?est trop auch, les steurs vont m?serrer. » (p.69) Et plus loin : « Excuse-moi, Yaz, mais je te parle et tu ne me réponds jamais. Es-tu bien sûr que ton mal de tête c?est dissipé ? Dans le cas contraire, je ne vois aucun problème à ce que tu dormes quelques heures. » La même réplique sans décodeur : « Scuse ouam. J?te l?épare depuis l?heure touta et tisgra tu me mets dans le enve ; T?es sûr que ça va ieum ta chetron Yaz ? Y?a pas de blème sinon j?te laisse mirdor. » Le lecteur est confronté à une mise en scène démonstrative des particularités de la langue utilisée dans le roman. On y retrouve clairement la dichotomie établie par Gumperz entre « we code » et « they code ».

L?argot et le verlan se mélangent très bien dans le texte et forment en fait un tout, un dialecte à part entière, la langue des banlieues, ce français contemporain des cités. Français auquel viennent s?ajouter les écrits, la langue et l?argot de la prison. Un sociolecte carcéral qui contribue lui-aussi à un éclatement linguistique, à l?actualisation d?un français que l?on pourrait dire « polyglossique ». En évoquant une société périphérique, Rachid Djaïdani s'est éloigné délibérément de la langue standard officielle pour puiser son parler dans l'argot et le verlan. « C'est comme s'il accordait à la langue française un nouveau souffle », nous dit Rania Adel Hassan Amed. Et, citant Mustapha Harzoune, elle ajoute qu?« ainsi, Rachid Djaïdani fait preuve dans Boumkoeur « d'une maîtrise de la langue, du rythme des phrases, d'une capacité à malaxer les mots pour en faire jaillir l'image, le sens, le sentiment voulus. » C?est pourquoi nous en arrivons à valider ici notre hypothèse d?un dépassement par Rachid Djaïdani des catégories stéréotypées qui réduiraient Boumkoeur à un document de sociolinguistique ou à une tentative avortée de roman beur. Certes la notion de littérarité est ici à nuancer car elle est essentiellement diffuse, surgissant par endroits alors qu?elle est complètement absente à d?autres. Mais c?est dans cet aspect en quelque sorte expérimental, dans ces tentatives et dans ces manifestations éparses que nous pouvons noter, il nous semble, l?émergence d?une écriture poétique chez Rachid Djaïdani.

L?étude qui précède nous permet désormais d?affirmer qu?il ne faut pas sous-estimer ce langage en marge et n?en faire qu?un simple phénomène de mode, de société ou de génération. Il est « au contraire étonnamment fertile. C'est un volcan bouillonnant dont la lave serait faite de métaphores et de pépites linguistiques. Une alchimie des mots concoctée par des sorciers de la langue et des acrobates de la rhétorique [...]. Une chose est sûre: en banlieues, l'imagination est au pouvoir », nous dit Henri Boyer30.

Boumkoeur est alors loin du simple « témoignage brut » comme d?aucuns ont pu le dire, dénué de toute conscience du pouvoir esthétique et métaphorique des mots. Rachid Djaïdani a pourtant pu affirmer dans un de ses entretiens : « la littérature, elle est française et nous on est considérés comme des mecs énervés. Nos blessures deviennent des best-seller de la rue, du quartier, du RER. » Déni de littérarité et catégorisme bien vite infléchis par le journaliste qui déclare : « que cela plaise ou non, Rachid est un écrivain ». «  Au même titre qu'Aragon ou Molière » reconnaît finalement Djaïdani « avec un petit sourire en coin ». Et il conclut : « on faisait hurler les micros, maintenant on fait transpirer les stylos. » C?est d?abord dans cette parenté avec la musique que l?écriture affirme son propre potentiel expressif.

Le lecteur note d?emblée qu?un extrait de NTM est placé en exergue du roman. Même si c?est sûrement plus du fait des résonances idéologiques que cela entraîne, il n?en reste pas moins que c?est sous le patronage de la musicalité possible des mots, d?une rythmique du langage de la cité que s?ouvre Boumkoeur. Recherche d?une musicalité qui nous est apparue comme évidente dans le travail du texte et des mots. Mais ce sont moins les influences du rap que celles du slam que nous avons d?abord ressenties dans ce travail.

Un petit retour historique s?impose cette fois-ci. Le slam est né en 1986 aux Etats-Unis, dans un bar de Chicago, le « Green Mill », le jour où Marc Smith, ouvrier en bâtiment et poète anticonformiste, décide de désacraliser la poésie en l?invitant dans les lieux publics. Apparaissent alors de véritables joutes oratoires aux règles strictes durant lesquelles peut se déployer toute l?expressivité d?une parole brute sans aucune mise en scène. D?ailleurs, « to slam » signifie « claquer » en anglais. Cette nouvelle poésie proclame le pouvoir émotionnel des mots dans leur matérialité nue, loin de toute standardisation et de toute normalisation. Dans les années 1990, le mouvement slam gagne le reste du territoire américain, puis s?exporte en France en 1995. En 1998, c?est le film Slam de Marc Levin, caméra d?or au Festival de Cannes, qui révèle le slameur Saül Williams et donc le slam. Le courant slam est la liberté littéraire par excellence. Il cherche la démocratisation d?une poésie désormais ouverte à tous. Art de la poésie orale, performance poétique et oratoire, il permet d?abolir les frontières esthétiques. Cette parole de combat a une devise qui peut s?appliquer à l?écriture de Rachid Djaïdani : « our strenght is the diversity of our voices. »

On trouve dans Boumkoeur une musique de l?écriture, des rythmes et des sonorités qui rappellent la versification d?un Grand Corps Malade. Nous avons relevé quelques uns des ces passages qui nous semblent « slamés ». Cela se manifeste dès le début du roman : « L?air que je respire me fait couler la goutte au nez. Pas de neige sur le dos de cette saison, le mois de janvier est entamé, déjà les fêtes sont terminées, de toute façon, je m?en moque, je n?aime pas les fêtes imposées, surtout celles de la nouvelle année. » (p.9) Et se poursuit ensuite : « Il y a quelques temps de ça, je m?étais fait confisquer un peu de ma liberté. Dans une résidence pavillonnairement riche des hauteurs de la ville, je m?étais volontairement égaré. La récolte devait être bonne, car sur un bas-côté un vélo tout-terrain traînait. (?) A toute allure, j?enfourchais le VTT aux vitesses carrément bien huilées. Mais au bout de trois coups de pédale sans élan, la police municipale me stoppa ; ne pouvant nier mon méfait, ma seule arme fut les larmes. » (p.14) Ou encore : « J?aurais aimé filmer une partie de foot sur le terrain déserté par l?herbe partie en fumée à cause des trop nombreux crampons qui l?ont foulée. » (p.22) On remarque une prédilection pour la rime interne en [é], ainsi qu?un usage constant de la juxtaposition qui crée une régularité dans le rythme de phrase, dont les séquences sont courtes. Yaz a bien conscience de la musicalité de ses paroles, de leur scansion que créent des phrases brèves et paratactiques lorsqu?il dit : « J?aurais dû m?enregistrer : avec le rythme endiablé du pivert et mon flot de paroles, j?ai improvisé quelque chose de cool, je suis un requin assassin grâce à la morsure de mon phrasé. » (p.58) Si la rime reste simpliste, (essentiellement le phonème [é], comme nous l?avons vu), mais elle impose cependant un rythme à la phrase qui n?est pas naturel mais découle d?une véritable recherche de style.

Un amour des mots et de la poésie se manifeste dans cet instantané de l?écriture qui transcende le stéréotype et les catégorisations pour nous offrir un nouveau rapport au réel, une expérience de la langue inédite qui est celle de la poétisation et de l?usage du pouvoir de métaphorisation des mots. L?écriture de Rachid Djaïdani peut devenir une écriture du rythme et des rimes. Elle sait aussi se faire fluide, spontanée et surprenante. Pourtant, il fait dire à Yaz : « les longues tartines on s?en bat les couilles, comme on a l?habitude de dire quand on ne veut pas se prendre la tête avec des phrases prises de tête. Ma seule préoccupation sera de témoigner. » (p.17, nous soulignons). Est-ce là la réalité ou bien une provocation consciente de la part de l?auteur qui incite son lecteur à aller au-delà de ses premières impressions ?

Nous avons relevé six traits stylistiques récurrents qui pourraient bien former les principes de la poétique nouvelle de l?écriture de Rachid Djaïdani. Ce sont des principes que nous analysons dans l?ordre de ce que nous avons jugé une importance croissante au regard de la question de l?existence d?une conscience esthétique dans Boumkoeur.

On sait que le futur situe le moment du procès dans l?avenir. Un procès projeté dans l?avenir est envisagé avec une certaine part d?hypothèse et d?incertitude qui hypothèque le potentiel de témoignage de l?écriture et lui confère un caractère poétique et métadiscursif (métadiscours sur lequel nous reviendrons par la suite). La question de l?utilisation et de la signification de ce futur fait irruption dans le roman. Nous relevons un passage descriptif, où Yaz évoque une bande réunie sous le porche d?un immeuble. Il termine ainsi : « La dernière latte sera pour l?artiste qui conclura sans se faire entendre : « On est tous racistes, les Blancs, les Noirs et les Multicolores », puis il remontera la fermeture éclair de son bombardier et s?éclipsera dans la nuit, comme un fantôme solitaire. » (p.20) Alors que tout le passage était au présent, le futur fait brusquement apparition en guise de conclusion. Le topos de la bande se trouve rejeté à l?arrière-plan. L?écriture « djaïdanienne » s?écarte du relevé documentaire et s?autonomise vers une esthétisation de la réalité. Le futur permet détachement et distanciation. « L?artiste » et « le fantôme » sont symboliquement convoqués, qui reviennent sur le topos de l?écrivain maudit et nous disent toute la difficulté de cette « écriture de la cité » à s?imposer comme une poésie possible et à « se faire entendre » comme telle.

C?est un procédé qui permet la création d?une cadence rythmique et qui repose sur la déconstruction de la rigidité académique de la langue française. L?écriture joue avec les règles syntaxiques et fait naître des syntagmes rimés. On trouve ainsi : « Je l?ai souvent aperçu dans le quartier, mais jamais avec lui je n?avais argumenté. » (p.13). « Heureux j?avais été » (p.15) ou « traître j?étais » (p.35). Mais aussi : « A mon réveil, agité j?étais par le souvenir du rêve de mon sommeil. » (p.28) et « de rêves illusoires seront remplies les cases vides de son cerveau » (p.34). Puis : « Malgré nos efforts, sans cesse replongeait la shooteuse dans le bleu de ses réseaux veineux. » (p.34) ; « 360 degrés a fait ma tête » (p.59) Et enfin : « Il sort de la poche une allumette, la même que John Wayne dans ses génocides westerns. » (p.38, nous soulignons car pour cette séquence de phrase, dont les allitérations et la succession de monosyllabes se concluant sur deux termes plurisyllabiques crée un phénomène de rebondissement sonore et articulatoire, le lecteur peut s?essayer à la scansion.) On note que l?inversion la plus fréquente est celle du verbe d?état et de l?attribut du sujet. L?adjectif est aussi souvent antéposé au nom, ainsi que le verbe au sujet et le complément au verbe.

Nous en avons relevé trois principaux, à savoir « bunkériser », « dolipraner » et « K-Otisé ». Le néologisme est significatif d?un travail sur la langue considérée comme un matériau polymorphe et une source de créations. Il dénote aussi une volonté subversive chez un auteur qui s?affirme contre l?académisme littéraire et ose des créations inédites.

Yaz nous parle, entre autre, de l?impérialité du tapis (p.7), des « entrailles de la grande tour » (p.33), du « cube sombrement borgne » (p.78) qui métaphorise une des caves de cette même tour et du «  mur du couloir au sourire de néon » (p.86) Le réel n?est plus l?objet d?une perception objective mais le lieu d?une métamorphose fantastique.

C?est là un procédé d?écriture qui actualise souvent des figures de style topiques. On trouve les « semeurs de rumeur jalouse » (p.15), « la fumée rauque du joint » (p.19) (deux hypallages),« la pièce a retrouvé son accalmie » (p.43) et la « solidaire solitude » (p.69, jeu paronymique).

Elles fleurissent dans le texte de Boumkoeur et permettent de valider notre hypothèse d?une poétisation du réel que réaliserait Rachid Djaïdani. Yaz parle des « cheveux roux comme une saison d?automne » de Grézi (p.44). Evoquant son frère il écrit : « Maman a pleuré pour lui toutes les larmes d?une mer qui depuis s?est asséchée à la source de sa racine. » (p.35, la métaphore est ici associée à un jeu sur l?homonymie et à une remotivation). La lampe de la cave de Napoléon devient « l?étoile défunte. » (p.73) La chambre du marabout est décrite comme « le jardin de sa spiritualité silencieuse » (p.107) et Yaz nous dit que lorsqu?il faisait l?amour avec Satîle, il « (s?enfonçait) en elle, (leurs) corps chauds, carapaces nervurées de sillons microscopiques, ruisselaient d?une pellicule scintillante. » (p.66)

On trouve aussi dans le texte des essais inédits de description : « Au plafond est agrafée une verte ampoule lumineuse, elle a la forme d?une poire pas trop mûre. Elle éparpille de sa verdure dans leur espace cubal. » (p.47) qui tendent à la poésie pure : « Souvent, je repense à la vitre fracassée par le poing du désespoir, une forme étoilée l?a transpercée, les fissures sculptées sur la feuille transparente me font penser à une toile d?araignée ; Les arrêtes tranchantes du verre sont peintes du rouge de sa mort.» (p.37) Le personnage de Gipsy, poète et musicien manouche, incarne et cristallise ce type particulier de rapport au réel qu?imposent poésie et musique : « jusqu?à tard dans la nuit, il colorie le temps gris qui n?a jamais raison de lui, regagnant son logis, les doigts ensanglantés, la gorge fatiguée. Gipsy est triste, les jouissances de sa femme guitare dérangent le voisinage, alors il la range dans l?étui, bien malgré lui. Y a pas de place pour être libre. » (p.39) L?artiste sait d?ailleurs crée « ses douces mélodies comme l?identique conte de sa vie. »

La langue dans Boumkoeur demeure essentiellement non standard, Rachid Djaïdani use d?un français « non littéraire », et pourtant?Pourtant nous pouvons affirmer que dans ce roman s?exprime une conscience esthétique qui se cherche, qui essaye et expérimente de nouvelles formes de rapports au réel, de retranscription du réel dénués de tout impératif d?objectivité et de réalisme. De nombreux poèmes sont d?ailleurs insérés dans le texte par la technique du collage, et sont ainsi discriminés en tant que poèmes, en tant qu?écriture poétique. Ce sont les poèmes de Gipsy ou ceux du compagnon de prison de Grézi qui essayent de réinventer le monde. Lorsque Yaz déclarait « rien à plagier », il indiquait déjà que son projet de « best of des cités » aurait du mal à se restreindre à un acte de témoignage et que l?imitation se tournerait plutôt vers les possibilités offertes par les ressources de la fiction et de l?imagination.

L?enjeu de cette littérature est bien finalement l?avènement d?une poétique personnelle, qui se montre consciente des différents discours produits sur la banlieue et l?identité beur, et qui sache les mettre en scène pour mieux les dépasser. C'est cet horizon que fixe Charles Bonn : « Ce n?est que lorsque ces textes se seront accumulés que d?autres pourront développer des textes dont la dimension autobiographique de témoignage sera moins évidente, mais qui sauront jouer avec maîtrise littéraire sur les différents discours qui fleurissent sur leur objet. »31

Rachid Djaïdani, dans son entreprise polyphonique de réappropriation des discours sur et de la banlieue, semble tendre vers cette autonomie qui fait éclore sa propre littérarité au texte. Il s?agit en effet de s?extirper des thématiques attendues de l?identité et de l?immigration pour, selon une esthétique à cet égard déceptive, réajuster sa légitimité au sein d?une parole plus juste. « Ce n?est pas du Molière, mais au moins c?est sincère ». (p.151). La dimension testimoniale et la dimension littéraire cherchent ainsi à se marier sans s?exclure, même si certains passages pèchent encore par leur aspect attendu et la circularité de leurs revendications.

Mustapha Harzoune reconnaît ainsi dans son article déjà cité la différenciation que la nouvelle génération d?écrivains beurs opère vis-à-vis de ses précurseurs, et l?inventivité propre qu?elle sait faire advenir : « Chaque auteur affirme un univers qui lui est propre, rompant ainsi avec la relative indifférenciation des années quatre-vingt. Cette diversité marque l'impossible réduction. Elle sonne le glas des raccourcis qui mutilaient les corps et les âmes. Les auteurs des années quatre-vingt-dix élargissent l'horizon de la création, instillent du souffle, retrouvent la voie de l'ontologique »32.

Nous nous attacherons donc finalement à montrer comment Rachid Djaïdani fait preuve d?une maîtrise ludique et pleine de sens des différents discours qu?il met en scène, jusqu?à instaurer une vraie complicité avec un lecteur construit. Cet acte littéraire se fait alors pragmatique : il est une autolégitimation, qui se construit en même temps qu?elle s?affirme, et invente une écriture qui a sans doute sa place au sein de la littérature française

Si l?on s?amuse à établir un plan d?écriture de Boumkoeur, on se rend bien vite compte que la linéarité narrative n?est pas le maître mot de ce roman. C?est plutôt l?art de la digression, celui du micro-récit ou encore de l?ellipse et de l?évocation des souvenirs qui y sont de mise. Remémoration et imagination semblent être les actes préférés du narrateur qui se détourne souvent du réel pour donner vie à une véritable polyphonie scripturale qui fait du texte un tissu de voix, de personnages et d?évocations où le pouvoir de l?imaginaire se déploie. Rachid Djaïdani met ainsi en scène avec Boumkoeur une réflexion sur l?écriture qui est une mise en abîme du travail de l?écrivain et de la langue.

Nous avons en effet repéré tout au long du texte plusieurs traits significatifs de ce décrochage opéré par le narrateur quant à la simple relation testimoniale. Nous avions parlé du futur quand nous évoquions la tendance de la poésie à hypothéquer le réel. Nous y revenons cette fois-ci pour le considérer comme le marqueur métadiscursif d?un écrivain qui s?essaye à faire de la réalité une fiction. A la charnière des pages 45 et 46 le texte change brusquement de narrateur sur plusieurs lignes, passant d?une identification narrateur/personnage principal à la prise en charge du récit par une voix extérieure à l?histoire, changement qui s?accompagne de l?emploi discontinu du futur de l?indicatif. La description qui s?amorce alors se fait selon le procédé cinématographique du zoom avant, partant de l?environnement et des objets à l?entour pour se recentrer petit à petit sur les personnages de Yaz et de Grézi alors dissimulés dans la cave de l?immeuble. Le réel est ainsi déjà mis en scène et tenu à distance, présenté par le biais d?un artifice qui sélectionne les éléments à décrire. Il est complètement hypothéqué quand le futur fait irruption : « Grézi (?) continue à caresser le jouet du délit. Il commencera un long monologue », nous dit le narrateur. L?histoire est ici définie comme fiction qui est elle-même pensée comme artifice. Le narrateur met à distance les personnages, leur vie et leurs actes sont pensés dans un hypothétique futur qui accuse toute l?artificialité de l?écriture romanesque. Le lecteur est confronté au théâtre de l?écriture. Le futur instaure une scission dans le texte, rendant possible la distanciation. L?illusion a disparu. L?autobiographie elle-même sera réécrite à la fin du roman en une troisième micro-histoire qui commence ainsi : « Il était une fois une bonne poire qui avait une capacité folle à avaler tous les bobards de son entourage : il s?appelait Yaz. » (p.115) La référence au modèle des contes est symbolique. Toue histoire écrite peut être pensée comme un leurre jouant des artifices offerts par la langue.

Rachid Djaïdani joue avec cette artificialité du langage, il en exploite les potentialités matérielles. Ainsi, lorsqu?il cite les slogans racistes de Napoléon, il écrit : « En gros, ça donne plus ou moins ça, j?ouvre les flammes nationales « Tous les pas-Blancs dehors. » Les guillemets se sont métamorphosés en « flammes nationales ». La ponctuation matérialise le réel. La langue et le texte sont pensés comme matière signifiante en soi, ce qui nous rappelle la réflexion et le travail d?un Raymond Roussel qui considère que les lettres comme les mots sont mimétiques du réel qu?ils désignent. L?auteur joue aussi avec une matière extérieure. On note en effet dans Boumkoeur de nombreux enchâssements de récits ou des citations telle : « Il revient à ma mémoire des souvenirs par milliers », que l?on trouve en italique dans le texte. Ce qui souligne sa nature de lien hypertextuel, un lien non identifié qui permet l?ouverture du roman sur des ailleurs littéraires, en un mystérieux réseau de correspondances. Les souvenirs eux aussi apportent au texte leur part d?invention et d?incertitude.

Le narrateur met constamment à distance ce qu?il est en train de dire. On a déjà analysé un tel phénomène dans le rapport de Yaz au langage et nous avions pu noter la présence d?une autocritique ironique du fait de l?emploi de certains termes. C?est désormais dans la nature même du texte, véritable tissage de diverses voix énonciatives (celle du père, celle de Grézi), de micro-récits (le marabout, l?histoire du père boxeur, l?idylle avec Satîle) et d?ellipses temporelles que se crée la conscience d?un texte non plus comme histoire mais comme champ d?expérimentation des possibles de l?écriture. Cette sorte de deuxième partie que constitue le courrier de Grézi est en fait un écrit dans l?écrit, une mise en abyme du travail d?écrivain. Dans ce roman protéiforme, un véritable projet d?écriture prend forme avec ces lettres de la prison, projet dont parle Laura Reeck33 : « la prison se transforme en un lieu de l?écriture de soi. Loin de la société, Grézi se rapproche de lui-même, une constatation qu?il fait dans un de ses premiers vers écrits sans l?aide de son ami mentor : « Plus que punir, la prison m?a fait réfléchir sur mon avenir?C?est pas du Molière mais au moins c?est sincère. » (p.151) Dans Boumkoeur, les personnages de Yaz et de Grézi sont des écrivains naissants dont les prises de conscience s?associent à la prise de la parole. Et dans les deux cas, cette prise de parole se greffe à une tabula rasa qui s?inscrit dans la démarche d?un nouveau départ. » Symboliquement, cette tabula rasa aboutit (ou commence ?) par l?autodafé des écrits de la banlieue. Yaz brûle pour finir tout le courrier de Grézi sans nous avoir donné à lire le « best of des histoires de la banlieue » qu?il contenait. Boumkoeur serait finalement un roman déceptif, mettant en scène une écriture de l?absence et les limites de l?écrit. Mais pourtant, un autre possible demeure qui nous amène à considérer le texte comme une invitation à un au-delà de l?écrit, dans un rapport au rêve et à l?imagination.

Le documentaire est depuis longtemps abandonné, Yaz ayant cédé à la tentation de l?imagination comme évasion du réel. La banlieue entre ainsi en littérature non plus comme objet du discours mais comme tremplin pour une écriture qui fait l?essai d?une esthétique nouvelle. La banlieue n?est plus décrite comme telle mais elle est métamorphosée et métaphorisée par les jeux du langage.

Le déclic a lieu au début du roman, alors que Yaz observe Grézi qui tente d?installer la télévision dans leur remorque. Il écrit : « Il a beau chercher, les ondes ne viennent pas percuter son antenne balancée de gauche à droite. Il la fait voler comme un avion, tout reste brouillé. Je l?observe, je le trouve beau et c?est ça qui me fait plaisir. Je n?ai pas envie qu?il arrête sa chorégraphie, ça me permet de m?évader, d?oublier qu?en ce moment à la baraque, c?est dur depuis que le Daron est au chômage. » (p.24) L?écriture dans Boumkoeur est une écriture qui chorégraphie le réel. On aura noté dans ce passage l?attention de Yaz portée à la sensation du plaisir esthétique. L?écrit recherche la beauté. L?imaginaire prend alors la place du témoignage et tient définitivement la réalité à distance. L?attitude de Yaz est à cet égard significative. Il porte souvent son attention sur les manifestations de ce que l?on peut nommer une « infra-réalité » : ces sons que provoquent les moindres actes du quotidien, rendus par des onomatopées dans le texte. Le jeu avec le réel et la langue est ainsi effectif. Yaz écrit, telles des notes qu?il prendrait sur ces phénomènes auxquels le commun des mortels ne prend plus garde : « Clic, clac fait la porte cadenassée ; » (p.27) ou encore « clic, clac fait la porte qui se referme sur l?arrivée de Grézi le discret » (p.104). On peut aussi relever : « toc fait la musique du poing contre poing » (p.32) Le narrateur est attentif à la capacité de création que possèdent en eux ces actes tout à fait insignifiants. A l?instar de la démarche de certains esthètes, il remotive le réel, en dévoile la musicalité dans une écriture qui peut parfois confiner au délire verbal.

En effet, ce que nous nommerons un refrain revient régulièrement ponctuer le texte de son caractère insolite. « Ron-piche ron-piche c?est le refrain du dodo » fonctionne comme un leitmotiv dans le roman et permet de soudaines ellipses dans la narration. On peut finalement se poser la question suivante : Et si tout n?était qu?un rêve ? On vient d?évoquer la reprise finale sur le mode « il était une fois » mais Boumkoeur en soi est aussi une histoire qui repose sur le coup monté de Grézi. L?écriture repose déjà à l?origine sur un artifice, presque tout ce qui nous y est décrit l?est par l?intermédiaire du regard illusionné et de l?aveuglement du narrateur. L?intrigue du roman ne serait alors qu?une grande mascarade. Rétrospectivement, le lecteur se rend compte que tout ce qui est vécu et décrit, tous les moments forts qui lui sont présentés sont comme hypothéqués par la fausseté et le mensonge de Grézi qui finissent par déteindre sur ce qui reste de réel.

En conséquence, l?importance accordée au rêve tout au long du roman devient symbolique. Yaz se préoccupe du contenu de ses rêves : « (?) de quoi pourrais-je bien rêver pour faire passer le temps ? C?est dommage que l?on ne puisse pas capter nos rêves grâce à de minuscules antennes paraboliques incrustées dans nos cerveaux, y aurait plus de souci d?insomnie, je zapperais, passant du rêve sexuel au cauchemar intellectuel » (p.64) Une réflexion qui met singulièrement en abyme les deux pôles principaux du roman : les préoccupations sexuelles de Yaz (que ce soit avec Satîle, avec Julie ou encore quand il songe à aller demander au marabout de lui prescrire des aphrodisiaques) et la situation de séquestré qui est finalement la sienne, et qui est due à l?horrible machination de Grézi qui joue cruellement avec la conscience et les pensées de Yaz. Quelques lignes plus loin, le narrateur nous décrit l?arrivée du rêve : « Je baille avec grand plaisir. J?ai pas fait le programme du rêve mais je souhaite qu?il soit à la hauteur de mes espérances. Aïe ! Ça y est, il vient de me piquer, je dors peut-être, et je me souviens de ma vie de jeune romantique, j?étais amoureux d?une belle fille » (p.65, nous soulignons) Ce qui suit n?est alors sûrement qu?un rêve. Une hypothèse que le passage souligné nous permet d?étendre à tout le roman. Un roman que nous avons décrit comme fonctionnant essentiellement par le biais de remémorations, la citation « Il revient à mon esprit des souvenirs par milliers » pouvant lui servir de pacte d?écriture. Or si le sommeil est associé au souvenir et le souvenir à l?écriture il en découle que l?écrit est le lieu du rêve par excellence.

Mustapha Harzoune écrit à propos de la singularité de cette écriture que l?on est en présence d?un « nouveau mode, plus introspectif, plus individuel, psychologique même. Ici, le narrateur s'extrait de son carcan où l'enserre son rôle de témoin ? ou de porte-parole ? pour devenir le véritable sujet, le centre du récit. Les perceptions intérieures, les affects, les marques indélébiles de l'enfance remontent à la surface. » Ainsi, un dépassement a bien lieu quant à la restriction de Boumkoeur à un écrit de la banlieue et sur la banlieue. Rachid Djaïdani sait exploiter les dimensions esthétiques et littéraires que lui offre l?écriture et c?est désormais la place du lecteur, et de ses attentes, qui doit être repensée.

Le destinataire est toujours impliqué dans un discours littéraire, de façon implicite ou explicite, étant apostrophé, ironiquement désigné, ou simplement supposé. Car une ?uvre garde souvent une dimension métapoétique, qui montre qu?elle est consciente de ses enjeux et de ses procédés. Ceci pose en abyme la question de la réception et de ce que Jauss définit comme la notion bien connue d?horizon d?attente, notion prise en compte par l?auteur au moment où il écrit, et ce de différentes manières. Le jeune narrateur Yaz semble s?adresser dans son discours à un récepteur toujours présent, impression renforcée par la forme orale et directe du récit, par la manière dont il retrace son autoportrait et définit les enjeux de son entreprise, selon des effets d?annonce qui paraissent ceux d?un plaidoyer face à un auditoire. Le destinataire est ainsi toujours supposé dans le discours, narrataire qui se trouve même apostrophé au début du roman (on parlera donc avec Vincent Jouve de « narrataire interpellé », composant essentiel de l?auto-réflexivité)34 :

« Grézi m?incendie de mots pas trop sympa, à vous ou à toi d?imaginer. Je suis en train de penser comme ça, vite fait en passant, je leur dit tu, ou vous, à ceux qui vont me lire. »

Le dispositif d?écriture à l??uvre dans le texte s?exhibe comme tel, se met en scène et se regarde fonctionner, en même temps qu?il interroge la question du lien avec son lecteur, encore une fois à travers la problématique du langage qu?il faut situer (« je leur dis tu, ou vous »). Ainsi Léonor Mérino peut-elle affirmer : « Les effets spéculaires augmentent et se déplacent de l'auteur narrateur vers le lecteur associé ici à l'écriture, avec la ferme intention de redéfinir les termes du contrat d'écriture et de lecture. »35 Le pacte de lecture tel qu?il est présenté dès le début met en cause le lecteur, et joue tout au long du texte à susciter des attentes qu?il ne cesse de décevoir. C'est bien le narrataire qu?il incrimine en dénonçant implicitement son manque d?intérêt pour une autobiographie trop personnelle : « Oh là ! raconter mes bla-bla familiaux, ce n?est pas trop le sujet de l?histoire que je veux faire naître sur mon calepin. Si ma vie personnelle et familiale avait pu intéresser ne serait-ce qu?une personne, je l?aurais su depuis belle lurette. » Le manifeste poétique qui s?ensuit possède lui aussi une dimension fortement ironique à lire comme métadiscours : « Aux faits j?incrusterai une part de fiction pour le rêve, sinon, y a des chances que l?aventure soit à l?égal du temps  qui pèse sur moi, c'est-à-dire gris comme froid. » Mais l?ultime tour de force réside bien dans l?esthétique entièrement déceptive de la fiction, qui ne cesse de reporter le dénommé objectif pour finalement le laisser partir en fumée, au sens propre comme au sens figuré (Djaïdani joue par ailleurs beaucoup avec les niveaux de réalité, le signifiant et le signifié) en promettant de ne pas le respecter. Ainsi, le narrateur comme l?auteur semblent sans cesse se défiler, et préférer définitivement l?introspection au reportage :

 « Le pacte conclu, je ne peux plus faire marche arrière. Une question de taille se pose à moi : par où commencer ? Le racisme ? La violence ? La politique ?... Si je devais écrire comme je pense, je commencerais par dire que je suis fatigué et les pains d?épice ne m?ont pas nourri. »

L?enjeu est alors insidieusement métamorphosé : « écrire comme je pense » plutôt qu?ajouter un énième témoignage sur la banlieue. Il faut alors attendre l?épilogue pour voir le pacte de lecture enfin redéfini, et ce retournement marquer une ultime volonté, idéologique et littéraire : « Les histoires du quartier best of de la mémoire de Grézi partent en fumée. Je ne vous les balancerai pas. Faites l?effort de nous rendre visite. »

Cette dernière pirouette est un défi au lecteur trop avide de faits divers croustillants et d?images bon marché, et elle met en cause la question de la réception. Mustapha Harzoune pointe cette récupération idéologique et commerciale de romans qui doivent leur succès à l?appétit curieux des lecteurs : « Ainsi et trop souvent, l'intérêt se concentre moins sur le travail que sur l'utilisation possible d'une image pour alimenter certaines idées reçues, phantasmes ou goût pour un exotisme de proximité. L'écrivain n'existe pas en soi. Il est alors et encore "écrivain de l'immigration", "écrivain de la banlieue", "écrivain témoin" ». En découle une difficulté certaine qui est encore celle de la légitimité, et Charles Bonn signale que « Les textes beurs qui ne répondent pas à cet archétype du témoignage autobiographique non-distancié existent, mais ils sont immédiatement marginalisés par la critique ou par l'édition »36.

Grâce au jeu déceptif auquel il se livre, Djaïdani s?adresse directement au lecteur et le force à le regarder pour ce qu?il est, exigeant ainsi une révision du regard porté sur les beurs des cités, en même temps qu?il l?engage à une action de remise en cause. L?épilogue en forme d?adresse et de demande parle à l?altérité, distingue l?autre de soi par l?énonciation même, mais engage à ce que soit comblé ce fossé qui ne devrait pas exister. Dans l?interview de Djaïdani réalisée par Karim Madani, l?écrivain répond à cette question crochet qui le taraude : « Je ne renie pas mes origines banlieusardes. Mais je ne venais pas avec un album de rap ou un match de basket. Je me suis fait à partir de mon imagination. Je dois le succès à mon stylo et à moi-même. Ça m'ennuie de devoir toujours me justifier : la banlieue, la cité. Cyril et Stéphane, en interview, ils viennent sur un terrain conquis, moi faut que je bataille. » 37

S?extirper de la dialectique de l?autre et de soi, recueillir en son sein l?altérité pour mieux forger une identité, effectuer le mélange de l?incarcération et de l?évasion, autant d?enjeux qui marquent le nouvel écrivain. Pour autant, il s?avère difficile de se détacher totalement d?un ancrage obligé, et le discours de Boumkoeur, tout inventif et distancié qu?il puisse se présenter, ne passe pas à côté de certains poncifs et effets de mode. Est-il seulement possible de concilier succès commercial et fiction désancrée ? Ahmed Kalouaz pose en effet la question suivante : « les appareils commerciaux de l?édition feront-ils encore confiance dans quelques années à ces « beurs » pour des ?uvres de fiction débarrassées du discours de la banlieue et de son mal de vivre ? »38. Par ailleurs, le caractère émergent et instable de ces écrits imprègne leur écriture d?un impératif d?autolégitimation qui voit se jouer la nécessité d?un discours de soi, d?un discours sur soi.

Le roman est empreint d?un impératif vital : laisser une marque de son existence, et en cela la réaliser. A l?instar de tout récit autobiographique, l?urgence de lutter contre le temps et la disparition prochaine s?impose, mais avec une dimension plus immédiate encore chez Rachid Djaïdani et les auteurs beurs en général. En effet, l?oubli contre lequel l?écriture salvatrice permet de lutter n?est pas un oubli posthume, mais une relégation présente dans les marges de l?ignoré. Contre l?anonymat obscur et voilé que l?on impose sur le monde des cités, l?écrivain comme son personnage cherche à exister :

« "Et toi, ton rêve ?" m?a-t-il demandé. "Exister", je lui réponds ». Et ce processus de légitimation touche à la fois son écriture, sa littérature, et son existence. Ainsi dans Boumkoeur, Grézi grave-t-il ses initiales sur les murs de toutes les cellules dans lesquelles il passe, et Yaz déplore-t-il l?indifférence dans laquelle est laissée la nouvelle de sa séquestration, effacée par « la participation de la ville au concours « la ville fleurie » : « mon fait divers ne fera pas tache ». Peut-être peut-on voir dans cette dernière phrase une allusion métalittéraire à la postérité de Boumkoeur, trop peu beur et pas assez français pour qu?on le reconnaisse.  

Le double de l?écrivain ne se fait donc pas le témoin d?une réalité collective et caractérisée, mais s?en distingue comme créateur, auteur d?une ?uvre personnelle qui a autant puisé dans la situation beur des banlieues françaises que dans les méandres d?une imagination toute romanesque et originale. Si le matériau linguistique a bien joué de ces appartenances et d?une authenticité revendiquée, il n?est pas pour autant réduit à un simple témoignage, puisque le geste de Yaz le fait advenir comme support d?une littérature à part entière. La reconstitution de soi est un acte d?autolégitimation qui fait naître un individu nouveau, non seulement en donnant sens au passé mais aussi en exprimant les attentes d?un avenir qui se balise. Le récit projette un désir réel qui donne à lire un futur, tout entier dans les injonctions finales et la progression d?un moi qui se dégage de l??uvre au terme du récit. Habiba Sebkhi résume ainsi cette double tension : « une littérature naturelle se révèle par là-même aussi un acte pragmatique qui, en mémorialisant le passé mais surtout le présent dont elle fait un lieu de mémoire, trace les enjeux pour demain. [?] Un individu donc à venir et dont la biographie serait paradoxalement à lire en palimpseste derrière celle qui nous est racontée»39. C'est bien ce que permet la mise en mot, héritière de Céline et de Frédéric Dard, opérée par Djaïdani dans Boumkoeur, et éminemment symbolique d?une poétique personnelle de l?altérité.

Notes

1 Fabrice Venturini, Mehdi Charef, conscience esthétique de la génération  « beur », Biarritz, Séguier, 2005.
2 Jamal Zemrani , « le roman beur est-il un tout-venant de la littérature maghrébine ? », in Algérie Littérature / Action, Marsa édition, n°93-94, oct-nov 2005.
3 Mustapha Harzoune, « littérature : les chausse-trappes de l?intégration », in Hommes et Migrations, no. 1231, "Mélanges culturels", Mai-juin 2001.
4 Mohammed Fellag, cité par Christine Chaulet-Achour dans « Les Beurs en France : une autre présence, l?humour », in La Comédie Sociale, Saint-Denis, PU de Vincennes, 1997.
5 Selon le concept de « visibilisation » repéré par Azouz Begag et Abdellatif Chaouite dans Ecarts d?identité , Le Seuil, Point-Virgule, 1992 : « se montrer un peu plus en affirmant sa présence et en cherchant la confrontation », dans un langage qui a largement recours à l?argot et tire la littérarité du côté du familier.
6 Michel Laronde, Autour du roman beur : Immigration et Identité, L?Harmattan, 1993
7 Habiba Sebkhi, "Une littérature 'naturelle' : le cas de la littérature 'beur', Itinéraires et contacts de cultures, no 27, 1er semestre 1999
8 Michel Laronde, Autour du roman beur : Immigration et Identité, L?Harmattan, 1993.
9 Crystel Pinçonnat, « la langue de l?autre dans le roman beur », The French Review, vol 76, n°5, 2003.
10 Habiba Sebkhi, "Une littérature 'naturelle' : le cas de la littérature 'beur', Itinéraires et contacts de cultures, no 27, 1er semestre 1999
11 Jamal Zemrani , « le roman beur est-il un tout-venant de la littérature maghrébine ? », in Algérie Littérature / Action, n°93-94, Marsa édition oct-nov 2005.
12 Alaoui Abdalaoui, « Entraves et libération. Le roman maghrébin des années 80 », in Notre Librairie, n°103, 1990.
13 Abdallah Mdarhri-Alaoui, « la place de la littérature "beur" dans la production franco-maghrébine », in Littérature des Immigrations, Paris, Universités Paris-Nord et Casablanca 2, Editions L?Harmattan, 1995.  
14 Habiba Sebkhi, op. cit.
15 Mustapha Harzoune, « littérature : les chausse-trappes de l?intégration », in Hommes et Migrations, no. 1231, "Mélanges culturels", Mai-juin 2001.
16 Jamal Zemrani, op. cit.
17 Florie Douls, « Boumkoeur de Rachid Djaïdani : Témoignage ou fiction ? Documentaire ou littérature ? », exposé de maîtrise, mis en ligne sur le site de Limag : http://www.limag.com/Cours/Exposes/2003DoulsBoumkoeur.htm
18 Mustapha Harzoune, op. cit.
19« Le bilinguisme à travers deux littératures émergentes : les cas du roman chicano et du roman beur » in, Bilinguisme Enrichissements et conflits Actes du colloque organisé à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l?Université de Toulon et du Var les 26, 27 et 28 mars 1999. Réunis par Isabelle Felici Champion, Paris, 2000, 361.
20J.N. Adam, Bilingualism and the Latin Language, Cambridge University Press, 2003.
21 op. cit.
22 op. cit.
23 Voir notamrnent J.P. Goudaillier, Comment tu tchatches ! Dictionnaire du français contemporain des cités, 2001, Maisonneuve et Larose.
24« Le français des jeunes vécu/vu par les étudiants, enquêtes à Montpellier, Paris, Lille » in Langage et société, n°95, mars 2001, Paris, Maison des Sciences de l'homme.
25Pascale Certa, Le français d'aujourd'hui, une langue qui bouge, France, Radio France, Balland/Jacob-Duvernet, 2001 
26 in, « Code, camouflage et verlan, l'innovation linguistique dans Ils disent que je suis une beurette et Salut Cousin » in Algérie:nouvelles écritures, études littéraires maghrébines, n°15, sous la direction de Charles BONN, Paris, L'Harmattan, 1999, p.145.
27in, « Parler véhiculaire interethnique de groupes d?adolescents en milieu urbain », in Actes du colloque international Des langues et des villes, Dakar, 15-17 décembre 1990, publiés en 1992, p.117.
28Nous nous sommes d?ailleurs conjointement référés pour cette analyse au Dictionnaire de l?argot de Jean-Paul COLIN publié chez Larousse ainsi qu?au dictionnaire de l?argot des cités en ligne Le Dictionnaire de la Zone © Cobra le Cynique, un dictionnaire qui, par sa nature, a le mérite de pouvoir prendre en compte la forme toujours mouvante de l?argot.
29In Dictionnaire de l?argot, Jean-Paul Colin, Larousse.
30« Nouveau français, parler jeune ou langue des cités? » in Langue française, les mots des jeunes, observations et hypothèses, n: 114, juin 1997, Paris, Larousse, Bordas, pp. 11-12.
31 Charles Bonn,"L'autobiographie maghrébine et immigrée entre émergence et maturité littéraire, ou l'énigme de la reconnaissance", in Littératures autobiographiques de la Francophonie, Actes du colloque de Bordeaux (22-23 mai 1994), sous la direction de Martine Mathieu, L'Harmattan, 1996, p. 222.
32 Mustapha Harzoune, op. cit.  
33In « De l?échec à la réussite dans le Bildungsroman beur » in Migrations des identités et des textes entre l?Algérie et la France, dans les littératures des deux rives, sous la direction de Charles Bonn, L?Harmattan, 2004
34 Vincent Jouve, La poétique du roman, Armand Colin/VUEF 2OO1
35 Léonor Mérino, « Blacks, Blancs, Beurs : Une herbe folle, créatrice, langagière, rebelle à toute autorité dans Boumkoeur », colloque international à l?niversité de Toronto, « L?interculturel et l?exil », 21-23 avril 2003, in « Cross-Cultural Relation and Exile ».
36 Charles Bonn, op. cit.
37 Karim Madani, Lascar écrivain : entretien avec Rachid Djaïdani, auteur de « Boumkoeur », Inventaire, 2000 : http://www.inventaire-invention.com/Archives/madani_djailani.htm
38 Ahmed Kalouaz, « Des écrivains à part », in Actualité de l?émigration, 11 mars 1987, cité par Alec G. Hargreaves dans  « La littérature issue de l?immigration maghrébine en France : une littérature mineure ? », in Etudes littéraires maghrébines : Littérature des Immigrations, dir. Charles Bonn, n°7, 1996.
39 Habiba Sebkhi, "Une littérature 'naturelle' : le cas de la littérature 'beur', Itinéraires et contacts de cultures, no 27, 1er semestre 1999