Présence Africaine / François Maspero, enquêtes sur deux aventures éditoriales

Eléonore Devevey

La question de l’édition des littératures francophones mérite d’être posée, dans la mesure où la création d’un espace éditorial rejoue et détermine le geste de prise de parole littéraire : l’édition et la diffusion étant les conditions de possibilité de l’existence des discours littéraires, la constitution du champ éditorial est d’autant plus décisive et significative dans le cas de littératures qui ont dû créer les conditions de leur existence. Les stratégies littéraires des auteurs, notamment concernant la représentation du référent (cultiver, de façon traditionaliste ou régionaliste, une différence, ou, à l’inverse, mettre en avant les enjeux contemporains), ou les choix linguistiques (adopter une langue classique qui permet une reconnaissance littéraire immédiate, ou préférer l’innovation linguistique, au risque de ne pas trouver de lectorat) sont reconduites, sous une forme analogue, dans les stratégies éditoriales : être publié au centre pour exister en périphérie tout en se soumettant à la tendance des maisons d’édition françaises à éditer les littératures africaines pour un lectorat de la métropole, ou, choix plus incertain, sinon matériellement impossible, être édité en périphérie et gagner éventuellement le centre1. La question de l’édition s’inscrit donc dans un rapport de force, qui lie centre et périphéries. Il y va donc d'abord, pour les premières générations d’écrivains francophones, pour qui la question « comment exister ? » se pose dans toute sa force, de la conquête d’une visibilité.

Deux expositions d’envergure nous ont donné cet automne l’occasion de poser les jalons d’une réflexion à ce sujet : le Musée du Quai Branly propose de revenir sur la fondation par Alioune Diop de la revue et maison d’édition Présence Africaine ; le Musée de l’Imprimerie de Lyon retrace le parcours des activités de l’éditeur, libraire et auteur François Maspero, qui a publié de nombreux intellectuels noirs. Ces aventures éditoriales, initiées par deux personnalités charismatiques après la Seconde Guerre mondiale, à une dizaine d’années d’intervalle, ont en commun d’avoir acquis une importance sans doute moins commerciale que politique et symbolique : disposant toutes deux d’une librairie, de revue(s) et étant à l’origine d’échanges et de débats, elles ont constitué, selon le sous-titre de l’exposition du Musée du Quai Branly, « une tribune, un mouvement, un réseau ». Cette présentation des deux entreprises éditoriales, dans leurs rapports avec les enjeux soulevés par la publication des littératures francophones dans le contexte des indépendances, empruntera beaucoup aux catalogues parus à l’occasion des expositions2, et notamment aux textes de l'historien Julien Hage. Ne seront évoqués ici que certains aspects de la question, relatifs aux littératures africaines et antillaises.

Il est tentant d’envisager Présence Africaine comme un mouvement, émanant d’acteurs noirs, africains et antillais, pour prendre la parole, tandis que les éditions Maspero, menées par un acteur français, issu de la gauche anticolonialiste, répondraient à un projet qui vise à donner la parole à ces acteurs. C’est du moins ce que peuvent laisser entendre les noms des deux maisons, l’une baptisée par celui de son fondateur, l’autre, de la très belle expression qui dit avec discrétion une forme de résistance par la détermination. Examiner les conditions de création et d’activité des deux entreprises, les positions de leurs acteurs, permet à la fois de confirmer et de nuancer cette distinction.

Présence Africaine et les éditions Maspero sont créées, quoique de façon rapprochée dans le temps, dans des contextes légèrement différents. La revue Présence Africaine voit le jour en 1947, dans l’immédiat après-guerre, à l’heure où les indépendances ne sont encore qu’esquissées ; elle a pour précédents différentes revues parues dans l’entre-deux-guerres, notamment les revues modérées telles La Dépêche africaine, fondée en 1928 par le Guadeloupéen Maurice Salineau, ou La Revue du monde noir, orchestrée par l’Haïtien Sajous et la Martiniquaise Paulette Nardal, qui paraît de novembre 1931 à avril 1932, ainsi que les revues plus militantes d’origine étudiante, tel l’unique numéro de Légitime défense, paru en 1932 et L’Etudiant noir, qui, autour de Césaire et Damas, réunit, dans quelques numéros, les futurs écrivains de la Négritude. La revue, et la maison d’édition qui voit le jour deux ans plus tard, bénéficient également de l'influence et l'expérience des intellectuels haïtiens, tel Jean Price-Mars, et afro-américains, comme Richard Wright. La librairie Présence Africaine n’ouvre qu’en 1962, à Paris, rue des Ecoles.

Les éditions Maspero publient leur premier ouvrage en 1959, alors que le mouvement des indépendances est enclenché (le Ghana et la Guinée, bientôt suivis par de nombreux pays, anciennes colonies françaises et belges, sont indépendants). François Maspero a ouvert sa première librairie, L’Escalier, en 1955, (l’année de la Conférence de Bandung), puis La Joie de Lire, en 1957, rue Saint-Séverin à Paris. L'entreprise de Maspero s'inscrit dans la tradition des figures de libraires-éditeurs engagés, comme les imprimeurs de la Résistance, les éditions de Minuit, de Jérôme Lindon, Pierre Seghers, l’éditeur des poètes, ou les éditions du Seuil.

Géographiquement, les deux maisons ont leur siège au Quartier latin, hypercentre de la vie intellectuelle française. Si cette inscription spatiale semble naturelle dans le cas des éditions Maspero, elle soulève de nombreuses questions en ce qui concerne Présence Africaine. A l’origine, le premier projet de revue, Découvertes, conçu par Alioune Diop en dialogue avec l'ethnologue Georges Balandier, a été concrétisé à Dakar : il devait s’agir d’une revue sénégalaise inspirée par les mensuels français et animée par la volonté d’instaurer un dialogue entre les intellectuels africains et européens. Mais, comme le rappelle Sarah Frioux-Salgas, commissaire de l’exposition du Musée du Quai Branly, Présence Africaine sera une revue franco-africaine, consacrée à l’Afrique et aux « mondes noirs », fondée et dirigée par un intellectuel africain issu d’un pays colonisé. Evoquant la genèse de la revue dans le texte inaugural du premier numéro « Niam n’goura ou la raison d’être de Présence Africaine », Alioune Diop choisit d’ancrer son histoire dans celle des intellectuels noirs à Paris pendant la période de la guerre, plutôt que de revenir sur le premier projet dakarois. Le choix de s’implanter dans le centre parisien correspond en effet à la volonté d’Alioune Diop de créer un lieu de réflexion sur les conditions noires plutôt que sur la seule situation sénégalaise. Les propos du journaliste et poète Joachim Paulin, lors d’un entretien réalisé pour l’exposition, sont révélateurs : il évoque le Quartier latin, le secteur entre la rue Descartes et la rue des Ecoles, comme le « premier territoire libéré, le coin des nègres ». S’approprier l’hypercentre parisien apparaît comme la condition nécessaire pour fédérer et ainsi donner une visibilité aux différents acteurs issus des périphéries, afin de soulever les interrogations qui leur sont communes.

Les deux maisons sont menées par deux hommes dont les personnalités ont marqué profondément les projets respectifs et fasciné les collaborateurs. Issu d’une famille de résistants, titulaire d’une licence d’ethnologie du Musée de l’Homme, François Maspero est, selon Julien Hage, le précurseur en France d’une nouvelle génération d'éditeurs d’extrême gauche, qui émerge en Europe dans les années cinquante. Par sa promotion des documents politiques, de nouvelles formes de paralittérature et de sciences humaines, à coût accessible, il est en effet l’instigateur d’une avant-garde éditoriale et politique, liée à l’émergence d’une nouvelle gauche anti-impérialiste, en marge des partis communistes. Ses choix éditoriaux et son regard de précurseur dans la mise en avant de nombreuses questions politiques et sociales sont aujourd'hui largement reconnus. Par ailleurs traducteur et auteur, il a contribué à la découverte en France de nombreux penseurs, auteurs et poètes étrangers. Patrick Chamoiseau, dans un entretien réalisé pour l’exposition, voit aujourd’hui en François Maspero le « colibri », symbole de la liberté aux Antilles : « Maspero, pour moi, c’est d’abord une légende. Comme un mantra d’initiés, un vocable qui accompagnait l’interdit, le subversif, le marronnage, la résistance qui se prépare au bond. C’était aussi comme un bout de formule secrète qui inaugurait la mise en transformation de moi-même et du monde ».

Issu d’une famille musulmane, converti au christianisme, Alioune Diop se trouve contraint, lorsqu’il choisit de fonder la revue et les éditions Présence Africaine, de renoncer à son poste de sénateur. Les premiers acteurs de Présence Africaine, tels Senghor, Césaire, Damas ou Jacques Rabemamanjara, font en effet partie du champ politique français ou sont appelés à devenir les futurs cadres de leur pays ; la plupart d’entre eux, ayant étudié en métropole, en ont tout au moins une expérience ; en ce sens, il y a à l’évidence une composante française chez les acteurs de ce champ littéraire3. A cet égard, Alioune Diop a eu soin, pour asseoir l'autorité de son projet, de s’entourer d’intellectuels français reconnus, écrivains et anthropologues, dont la présence possède une vertu légitimante, et qui peuvent, par leur notoriété, assurer à la revue un réseau de contacts ainsi que la diffusion de ses numéros : Jean-Paul Sartre, Albert Camus, André Gide, Michel Leiris, Paul Rivet et Georges Balandier, ou encore les chrétiens Théodore Monod, alors directeur de l’Institut Français d’Outre-Mer, et Emmanuel Mounier, fondateur de la revue Esprit, font ainsi partie du comité de patronage qui préside au lancement du premier numéro de la revue. Par tous les acteurs de la revue et ses héritiers, Alioune Diop est loué, outre pour son intelligence et sa discrétion, pour ses talents de fédérateur et d’homme de dialogue. Les impressions de Balandier, lors de son premier séjour à Dakar, sont, à cet égard, révélatrices : « tout m’attirait en lui, son élégance naturelle, sa générosité, sa double culture, sa volonté patiente qui ne redoutait ni les obstacles ni les défis : être catholique bien que fils de lettré musulman, parler à des communautés séparées par les différences, l’inégalité et les discriminations »4.

Deux projets parisiens et ouverts sur le monde, initiés dans le contexte des indépendances ; deux personnalités de passeurs, dont les entreprises sont animées par une nécessité et une urgence.

Les lignes éditoriales des deux maisons sont sous-tendues par la volonté de constituer une tribune, un lieu d’expression libre pour ceux dont la voix n’est peu ou pas représentée dans les maisons d’éditions traditionnelles. Présence Africaine et les éditions Maspero ont en commun d’avoir un catalogue à la fois unifié par les thèmes et les enjeux soulevés, mais ouvert aux dissonances et aux divergences de vue.

Les objectifs définis par Diop dans « Niam n’goura ou la raison d’être de Présence Africaine » sont triples. Il s’agit de :

“-publier des études africanistes sur la culture et la civilisation africaines.

 -publier des textes africains.

 -passer en revue les œuvres d’art ou de pensée concernant le monde noir.”5

Le projet ainsi défini est à la fois anthropologique et artistique, et manifeste une volonté d’exhaustivité et de promotion des cultures noires. Ceci est lié à l’inadaptation des structures éditoriales françaises, qui ne permettent pas la mise en valeur des cultures africaines ; cette idée avait déjà été mise en avant lors de l’élaboration du projet de Découvertes, Diop et Balandier témoignant avoir « rencontré jusqu’ici nombres d’Africains dignes de révéler leur richesse et n’ayant aucune possibilité d’y parvenir ». Par ailleurs, l’intention d’Alioune Diop, définie dans « Niam n’goura… », est d’abord de constituer une politique éditoriale ouverte et neutre, qui « ne se place sous l’obédience d’aucune idéologie philosophique ou politique » et qui « veut s’ouvrir à la collaboration de tous les hommes de bonne volonté (blancs, jaunes ou noirs), susceptibles de nous aider à définir l’identité africaine et de hâter son insertion dans le monde moderne »6. Dans les premiers numéros de la revue, ce sont les intellectuels français qui nourrissent la plupart des polémiques politiques à l’égard de la colonisation, tandis que les collaborateurs noirs y publient surtout leurs premières œuvres et interviennent dans les débats culturels et esthétiques. Cette relative modération de Diop, son appel à la « collaboration intellectuelle entre l’Afrique et l’Europe », peuvent s’expliquer par l’impératif de prudence qui pèse sur une revue qui se revendique comme française et qui est, à ce titre, soumise à la surveillance des autorités. La censure touche en effet plusieurs publications, et surtout le film "coup de poing" commandité et produit par Présence Africaine, sur le sort réservé à l'art africain dans les musées occidentaux, Les Statues meurent aussi, réalisé en 1953 par Chris Marker et Alain Resnais, et censuré jusqu’en 1963. En 1955, après la Conférence de Bandung et dans l’optique du Premier Congrès des écrivains et artistes noirs, qui aura lieu en 1956, organisé par Présence Africaine et qualifié de « Bandung culturel », Alioune Diop est néanmoins contraint d’infléchir cette ligne éditoriale, en optant ouvertement pour une orientation antiraciste et anticolonialiste : dans la revue, « tous les articles seront publiés, sous réserve que leur tenue s'y prête, qu'ils concernent l'Afrique, qu'ils ne trahissent ni notre volonté antiraciste, anticolonialiste, ni notre solidarité des peuples colonisés » . La maison est par ailleurs ouverte à tous les genres littéraires, essais, poésie, romans et contes ; en 1965, sont néanmoins créées deux collections spéciales, « Textes politiques » et « Leaders politiques du tiers-monde », qui mettent en évidence son soutien aux penseurs anticolonialistes. Présence Africaine entend avant tout œuvrer à la reconnaissance des productions intellectuelles, littéraires et artistiques africaines : en témoignent les très nombreux auteurs pour qui une publication dans la revue a servi de tremplin.

La ligne éditoriale de Maspero ne fait pas l’objet d'une préconception aussi nette ; elle s’est affirmée au fur et à mesure de la constitution du catalogue, même si se dégage très rapidement une forte cohérence dans les thèmes abordés et la démarche de l’éditeur, qui entend proposer des outils de réflexion utiles et accessibles à tous. On peut, avec Julien Hage, mettre en évidence trois lignes directrices. Il s’agit d’abord de fournir, à tous les tenants du progressisme et de l’anticolonialisme, des documents politiques qui donnent la parole aux acteurs de l’histoire contemporaine et passée (par la réédition de textes oubliés), ainsi qu’à des voix marginalisées ;  la collection « Voix », consacrée à la poésie et à la littérature du monde entier, met ainsi en avant la littérature maghrébine francophone, notamment Tahar Ben Jelloun. De même, en 1967, la collection « Domaine maghrébin », sous la direction d’Albert Memmi, vient compléter cette collection, en approfondissant l’attention portée au Maghreb et à sa littérature ; elle regroupe des œuvres, parfois en version bilingue, d’écrivains francophones, ainsi que des études sur ce thème. Ensuite, Maspero entend participer au renouvellement du débat politique à gauche, en décloisonnant les approches et les différentes sciences humaines et sociales. Enfin, il s’agit également de contribuer à l’essor de ces dernières, avec une attention particulière pour l’anthropologie et les ouvrages militants en prise sur leur époque. L’intention de Maspero étant avant tout de « donner à voir, ouvrir grandes les fenêtres », le catalogue se caractérise par une forme d’œcuménisme intellectuel et politique, qu’il définit ainsi en 1966 : « il n’est pas question pour moi de suivre une « ligne politique » où tous les auteurs se congratuleraient mutuellement ; dans les Cahiers libres  [collection centrale des éditions], Albert-Paul Lentin réfute Fanon, mais Abd-el-Kader prend résolument le contre-pied de Lentin»7. Cette souplesse théorique, contrebalancée par une forte cohérence thématique, valorise principalement la forme de l’essai, historique, socio-économique, politique ou philosophique, ainsi que le témoignage, et la poésie. Elle donne également une grande importance à la publication de revues : la revue Partisans, lancée en 1961, puis, après 1968, la revue Tricontinental, émanation française sous la direction de Maspero de la revue tiers-mondiste de l’Organisation de solidarité des peuples, d’Asie, d’Afrique et d’Amérique (Ospaal) font une large place à la situation politique en Afrique, dans le contexte de décolonisation puis des indépendances. De 1971 à 1973, Maspero publie également la revue Acoma, « revue de littérature, de sciences humaines et politiques » d’Edouard Glissant et de l’Institut d’études martiniquaises, créée en 1965 et qui témoigne de son engagement en faveur des Antilles. Il s’agit donc ainsi, pour Maspero, de faire entendre les voix subversives et marginalisées.

Les deux maisons d’édition ont donc en commun, tout en souhaitant rester ouvertes à toutes les approches originales, de promouvoir à la fois l’indépendance politique des pays colonisés et l’autonomie du champ littéraire francophone, même si l’accent est davantage placé sur ce premier objectif pour Maspero, sur le second pour Présence Africaine.

Enfin, elles ont également en commun d’être, notamment par l’intermédiaire de leur librairie respective, des lieux de débats et de rencontres, les lieux de la sociabilité littéraire et anticoloniale francophone. Dès le départ, Alioune Diop envisage de mettre en place, non seulement une revue et une maison d’édition, mais aussi un réseau de réflexion et d’idées. Les exemples les plus marquants de cette volonté sont les trois Congrès, et tout particulièrement le premier, organisé par Présence Africaine : le Premier Congrès des écrivains et artistes noirs, organisé en 1956 à la Sorbonne, suivi du Second Congrès, accueilli officiellement par la ville de Rome en 1959, et du Premier festival des arts nègres, organisé à Dakar en 1966, trois manifestations symboliquement et politiquement spectaculaires, qui rassemblèrent des intellectuels et artistes noirs du monde entier engagés dans le combat pour la reconnaissance des cultures noires et de la lutte antiraciste et anticoloniale. Ce n’est qu'en 1962 que Présence Africaine ouvre une librairie à Paris, très riche en ouvrages en français et en anglais, qui, selon le texte joint au catalogue des ouvrages publiés, se donne pour mission de « rendre accessibles tous les ouvrages actuellement disponibles concernant l’Afrique et le Monde noir ».

Dès l’époque de sa première librairie, l’Escalier, en 1955, Maspero a noué des liens étroits avec les intellectuels, les écrivains et les étudiants issus des colonies, tels l’Angolais Mario de Andrade, Amilcar Cabral, leader de la Guinée portugaise, Léopold Sédar Senghor, Léon-Gontran Damas ou Richard Wright. Il organise en 1956 une signature du Discours sur le colonialisme d’Aimé Césaire, paru chez Présence Africaine, la semaine où celui-ci démissionne du Parti communiste en publiant sa Lettre à Maurice Thorez. Aux côtés de la librairie Présence Africaine, la librairie La Joie de Lire, fondée en 1957 par François Maspero, devient par la suite le nouveau lieu de rendez-vous des intellectuels, des exilés et des militants africains ou antillais. Au début de l’année 1962, les deux librairies, ainsi que celle des anarchistes du monde libertaire, sont plastiquées lors de « nuits bleues » de l’Organisation de l’armée secrète des partisans de l’Algérie française.

Les deux maisons ont une place centrale dans la conquête, par les intellectuels et écrivains francophones, du champ éditorial français. Si Présence Africaine joue un rôle prépondérant dans ce processus, d’abord parce qu' étant la première maison d’édition française fondée et dirigée par des intellectuels noirs, sa puissance symbolique est déterminante, il ne faut pas négliger la dimension française de l’entreprise : sa naissance est liée au contexte de la Seconde Guerre mondiale et son inscription spatiale l’ancre dans le secteur des maisons d’éditions parisiennes ; nombre de ses acteurs noirs sont aussi les acteurs du champ politique français et elle mobilise de nombreux intellectuels français ; enfin, elle suscite des modes très riches de sociabilité littéraire, par des stratégies d'appropriation et de détournement des pratiques propres à l'édition parisienne. De fait, sa plus grande force est d’avoir su tirer profit des structures françaises pour mettre progressivement en évidence la spécificité des cultures noires, et mettre en valeur les richesses de ses acteurs cosmopolites. Symétriquement, les éditions Maspero, loin de n’avoir été qu’une aventure parisienne, ont suscité un véritable dialogue entre les acteurs du monde colonisé, qui a accompagné le mouvement des indépendances. Les deux maisons ont ainsi contribué, chacune à sa façon, à l’autonomisation du champ intellectuel et littéraire francophone. 

Julien Hage signale, dans une note de bas de page du catalogue de l’exposition consacrée à Présence Africaine que, « en dépit de similitudes de vue et d’une solidarité de fait, les échanges et les collaborations sont des plus limités entre les deux maisons »8. S’il n’y a pas eu en effet de véritables projets d'envergure réalisés conjointement par les deux maisons, l’on peut néanmoins s’arrêter sur les parcours éditoriaux de deux auteurs, Frantz Fanon et Mongo Beti, qui, dans les années 1950-1970, mettent en évidence les chassés-croisés des deux maisons et leur convergence d’intérêts.

C’est au Seuil, maison d’édition placée sous le double signe de l'engagement intellectuel et du catholicisme, dont le rôle a également été significatif dans la promotion des littératures francophones, que le psychiatre martiniquais Frantz Fanon publie, alors qu’il a seulement vingt sept ans, son essai qui bouleverse les recherches sur l’esclavage, le racisme, la psychanalyse, la philosophie et la politique, Peau noire, masques blancs, en 1952. En 1958, lorsque Fanon cherche à faire publier son essai sur la guerre d'Algérie, les éditions du Seuil ont adopté une ligne plus modérée, et Fanon décide alors de se tourner vers Maspero, qu’il a rencontré lors du Premier Congrès des écrivains et artistes noirs en 1956, et qui est alors très engagé dans les réseaux des « porteurs de valises », les Français qui luttent aux côtés du FLN algérien. Maspero publie donc L’An V de la révolution algérienne, alors qu’à Paris, les « évènements d’Algérie » font l’objet d’un traitement médiatique laconique. En 1961, paraît Les Damnés de la terre, avec la préface retentissante de Sartre, vers lequel François Maspero s’est tourné après les refus d’Aimé Césaire et d’Albert Memmi. Outre les articles et extraits publiés dans les Temps modernes, Sartre avait également été sollicité, en 1948, pour écrire la préface, « Orphée noir », de l’Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de Senghor. Sa préface à l’ouvrage de Fanon, qui vaut comme consécration, aura un effet déterminant sur la diffusion et la réception de l’essai (elle est néanmoins présentée, à partir de 1967, sous la forme d’un feuillet amovible inséré dans le livre, suite à l’obligation de la veuve de Fanon, considérant que la position de Sartre à l’égard d’Israël est prosioniste, de la retirer). Tenant tout particulièrement à ce livre, Maspero écrit à Fanon, le 24 septembre 1960 : « Votre livre a représenté pour moi tout ce que devait être ma collection : révolutionnaire et violente »9. Malgré la censure et les saisies de l’ouvrage (comme de l’An V), il est publié à plus de vingt mille exemplaires pendant la guerre d’Algérie, avant de connaitre un succès exceptionnel et d’être traduit dans des dizaines de langues. Présence Africaine, qui ne s’était pas engagée dans la publication et la diffusion de L’An V après sa saisie, assure la traduction en anglais des Damnés de la terre ainsi que sa diffusion en Afrique. Après la mort prématurée de l’auteur, en 1962, Maspero publie dans la revue Présence Africaine un hommage à l’auteur ; il s’efforce également de publier ses œuvres complètes en recherchant ses textes publiés, souvent de manière anonyme, dans le journal clandestin du FLN, El Moudjahid. Pour la Révolution africaine deviendra ce livre, publié en 1964, traduit par Che Guevara en espagnol. Après la guerre d’Algérie, les autorités craignent de voir s’étendre la décolonisation aux départements français. Frantz Fanon reste interdit aux Antilles par arrêté préfectoral, à l’initiative de Louis Jacquinot, ministre d’Etat chargé des départements et territoires d’outre-mer, qui avait déjà réclamé en 1964 auprès du ministre de l’Intérieur, Roger Frey, l’interdiction de la publication en France de Pour la révolution africaine. En 1967, Les Damnés de la terre est réédité en poche, dans la « Petite collection Maspero », lancée cette même année, et a été depuis sans cesse réédité.

En dépit de la courte trajectoire auctoriale, la reconnaissance rapide et la vaste diffusion de Fanon sont en partie dues à son parcours éditorial, qui, on l'a vu, a bénéficié de l’effort conjoint des maisons d’éditions que sont le Seuil (qui publie le premier texte de Fanon), Présence Africaine (qui lui donne l’accès à un réseau intellectuel, le traduit et le diffuse) et Maspero (qui édite et rend célèbres ses livres les plus subversifs) ; leurs objectifs communs, sous des divergences de vue, concourent à accroître le lectorat et l’autorité de Fanon.

Le parcours du camerounais Mongo Beti manifeste ce même chassé-croisé entre différents éditeurs. Il commence sa carrière avec la nouvelle Sans haine et sans amour, publiée en 1953 dans la revue Présence Africaine. Son premier roman, Ville cruelle, publié sous le pseudonyme d’Ezo Boto, suit en 1954 aux éditions Présence Africaine. Dans les années 1950 et 1960, le roman africain d’expression française des pays décolonisés, connaît un mouvement d’essor, grâce à l’engouement des plus grandes maisons d’édition, comme Flammarion, Plon, Julliard ou Robert Laffont, et à la création de récompenses spécifiques pour les ouvrages d’auteurs africains, tel le grand prix de la littérature d’Afrique noire en 1961. Mongo Beti publie en 1956 Le Pauvre Christ de Bomba, chez Robert Laffont, sous son vrai nom, Alexandre Biyidi, roman particulièrement sévère pour le colonisateur, puis Mission terminée, en 1957, qui obtient en 1958 le prix Sainte-Beuve, et Le Roi miraculé, en 1958. Le Pauvre Christ de Bomba est réédité au début des années soixante par Présence Africaine, qui procède à un grand nombre de rééditions, souvent dans les éditions définitives qui feront date, des textes publiés chez d’autres éditeurs (est également réédité le Discours sur le colonialisme, de Césaire, que Laffont, son premier éditeur, ne voulait plus commercialiser, de même que le Pauvre Christ de Bomba) ; ces rééditions jouent un rôle significatif, car est ainsi constituée la plus grande bibliothèque africaine de l’édition contemporaine.

En 1972, Mongo Beti rompt un long silence d’écriture avec un livre très polémique, dirigé contre le régime d’Ahidjo au Cameroun et écrit en réaction à l’assassinat d’Ernest Ouandié, chef de l’opposition camerounaise : Main basse sur le Cameroun, sous-titré « Autopsie d’une décolonisation ». Tous ses éditeurs précédents ayant refusé le livre, l’écrivain se tourne vers François Maspero, qui le publie immédiatement. Cet ouvrage s’inscrit dans une vague de critiques de plus en plus nombreuses et virulentes des régimes issus de la décolonisation et de leur collusion avec un néocolonialisme persistant, (telles les critiques de Kamitatu et Jules Chomé, dirigées contre le régime de Mobutu), et qui sont particulièrement visées par la censure. Les raisons aberrantes, alléguées pour justifier l’interdiction du livre de Beti, qui met en question les intérêts français au Cameroun, sont caractéristiques de la politique du ministre de l’Intérieur Raymond Marcellin : l’ouvrage est proscrit en vertu de la « provenance étrangère » de son auteur, alors qu’il est professeur de lettres agrégé, en France, à une époque où les statuts de la fonction publique exigent la nationalité française. Le livre est alors réédité au Québec et importé clandestinement en France. Lorsque, en 1976, après de longues procédures judiciaires, la censure est jugée caduque, et que le livre est réédité en France, Mongo Beti, désormais reconnu français, est accusé, cette fois par l’Etat camerounais, d’ingérence étrangère. Malgré cette double stigmatisation, l’auteur voit néanmoins, grâce au succès du livre, ses ouvrages reconnus. L’éditeur, quant à lui, n’est indemnisé ni pour les frais de défense devant les tribunaux ni pour les dépenses de la première édition détruite.

Mongo Beti publie par la suite un grand nombre d’ouvrages chez divers éditeurs (notamment chez Gallimard, Julliard, et L’Harmattan) et poursuit son engagement au Cameroun à partir des années 1990.

La trajectoire éditoriale erratique de Mongo Beti, son choix d’être publié sous divers pseudonymes, peuvent s’expliquer, outre par le caractère protéiforme de sa production, par sa volonté de ne pas se laisser enfermer par une ligne éditoriale et la difficulté à trouver un éditeur prêt à assumer la publication de la totalité d’une œuvre subversive. Les éditeurs littéraires, plus ou moins « classiques », ont ainsi permis à sa production romanesque d’exister, tandis qu’un éditeur de gauche et anticolonialiste a pris en charge sa production ouvertement pamphlétaire. Ses démêlés avec les autorités françaises et camerounaises mettent en évidence la difficile conquête du droit de cité dans l’espace intellectuel par un écrivain chez qui la double appartenance culturelle et l’impératif de subversion sont résolument affirmés.

A travers le parcours éditorial de ces deux auteurs anticolonialistes, est mise en évidence la convergence des efforts des deux maisons d’éditions : là où Présence Africaine n'est pas en mesure, si elle souhaite poursuivre son entreprise, d'assumer un choix éditorial trop audacieux politiquement,  Maspero se met en première ligne, et Présence Africaine revient assurer les arrières, ou exprimer sa solidarité. Ces prises de risque ont joué un rôle décisif dans l’accompagnement des indépendances. C’est ce que souligne la cinéaste Sarah Maldoror dans un entretien réalisé pour l’exposition Présence africaine : « les indépendances se sont faites, aussi, grâce à Présence africaine » : le réseau créé par le monde éditorial a été un socle et un tremplin.

 

A partir de ce parcours, l’on peut à présent proposer des pistes de réflexion sur la situation actuelle de l’édition et de la diffusion des littératures francophones, en France et dans le monde noir, notamment en Afrique.

En 1982, François Maspero quitte son métier d’éditeur, mais les éditions qu’il a fondées poursuivent leur chemin sous un autre nom, La Découverte ; l’exposition du Musée de l’Imprimerie consacre sa section finale à ses activités de traducteur et d’écrivain. Bien que le parcours que propose l’exposition du Musée du Quai Branly prenne fin avec le Premier festival des arts nègres, en 1966, la revue Présence Africaine, aujourd'hui sous la direction de Romuald Fonkoua, paraît toujours (son dernier numéro, paru en 2008, est consacré à un hommage à Aimé Césaire et à l'élection de Barack Obama), la maison d’édition est à présent dirigée par la veuve du fondateur, Christiane Diop, et la librairie est toujours en activité. Les deux aventures n’ont cependant plus le rôle précurseur qui a d’abord été le leur, en raison de leur singularité et leur caractère innovant, mais leur fonction d’essaimage est aujourd’hui mise en valeur : François Maspero évoque à cet égard le catalogue qu’il lui faudrait constituer, celui des « livres qu’on a fait paraitre chez d’autres éditeurs ». Les deux maisons d’édition ont en effet profondément modifié le champ éditorial français, en ce qu’elles ont créé une place pour les voix alors marginalisées. Nombre de leurs titres sont réédités régulièrement et jouissent d’une très vaste diffusion, notamment sous le format poche, (créé en 1967 chez Maspero, et en 1971 pour Présence Africaine).

La circulation en dehors de la métropole des ouvrages publiés par ces deux maisons tenait tout particulièrement à cœur à leur fondateur. Comme le souligne Julien Hage, la diffusion des textes, avec les indépendances et l’essor des universités africaines à partir des années 1960, a pris de l’ampleur, malgré les limites de l’alphabétisation et de l’accès matériel au livre. Par ailleurs, de nouvelles maisons d’édition ont été créées sur le continent africain, avec l’aide des états. En 1963, sont fondées les éditions du Centre de littérature évangélique de Yaoundé (CLE), qui, d’abord orientées vers une production religieuse, se tournent vers le théâtre, la littérature, la poésie, la littérature enfantine ou les essais. Le Mali lance en 1967 les Editions populaires du Mali, devenues par la suite les Editions et imprimeries du Mali, avec un catalogue de littérature orale et d’ouvrages de sciences humaines et sociales. En 1972, sous l’impulsion de Senghor, devenu président du Sénégal, sont créées les Nouvelles Editions africaines (NEA), en collaboration avec des éditeurs français, Présence Africaine, Hachette, Nathan, Armand Colin et les éditons du Seuil. Les NEA, qui essaiment par la suite à Abidjan et Lomé, se consacrent avant tout à la production de manuels scolaires, mais également à celle d’œuvres de fiction et d’essais. De même pour le Zaïre, existent les éditions Belles Lettres, celles du Centre africain de littérature, puis Okapi ou les éditions du Mont-Noir, et de nombreuses autres petites maisons d’édition parfois éphémères... La plupart des pays disposent, à la fin des années 1970, de leur propre système éditorial, qui, malgré des difficultés de distribution et de financement, annonce l’apparition de littératures qui se conçoivent et se revendiquent dès lors comme « nationales ». La situation éditoriale africaine a beaucoup progressé par la suite : par exemple, le Réseau des éditeurs africains (Apnet, pour African Publishers Network), né en 1992, associe des éditeurs de quarante-six pays du continent, dont dix-sept francophones. Il organise des formations et des rencontres régionales, publie une revue sur l’édition africaine, appuie la professionnalisation des associations nationales et assure la promotion des éditeurs africains. Néanmoins, l’Afrique est aujourd’hui loin d’être indépendante sur le plan éditorial : en 2005, selon l’Atlas mondial de la francophonie10, 90% des livres vendus dans la zone francophone sont importés de France, principalement via les distributeurs Hachette et Editis, le reste du marché étant partagé entre éditeurs africains et canadiens (Hurtubise HMF, Beauchemin). On compte une centaine de maisons d’éditions francophones, dont 93% sont indépendantes. Les trois majors de l’édition africaine francophone (les Nouvelles Editions ivoiriennes, Ceda et NEAS) intègrent des capitaux étrangers (français et canadiens) et représentent un quart de la production. Côté distribution, l’informel compense la faible maillage de véritables librairies : ce sont les libraires « par terre » qui sont les plus nombreuses.

Aujourd'hui, les plus grandes maisons d’édition françaises, telles Gallimard ou Actes Sud, ou encore l’Harmattan, le Seuil ou le Serpent à plumes, publient des auteurs africains ou antillais, d'expression française ou non, et les collections prévues à cet effet se sont multipliées au cours des dernières années : la collection « Monde noir » chez Hatier, dirigée par Jacques Chevrier, ou « Continents noirs », chez Gallimard, créée par Jean-Noël Schifano en 2000, qui compte également des auteurs traduits de l’espagnol ou du portugais, ou encore la collection « Afriques », chez Actes Sud, dirigée par Bernard Magnier, et qui publient des traductions de langues européennes et africaines. Le discours éditorial s'est également transformé : les œuvres africaines sont par exemple mises en avant pour leurs enjeux linguistiques, leur force de renouveau sur la matière verbale, leur pouvoir de "réveiller" le français11 ; la subversion est envisagée comme transgression linguistique, la littérature africaine tendant aujourd'hui à être présentée comme source de plaisir de lecture plutôt que comme ferment de contestation. Cet infléchissement est bien sûr dû aux mutations géopolitiques mondiales et à la consécration des littératures africaines et antillaises, qui ont acquis des réseaux éditoriaux, des lectorats, l'attention universitaire et une diffusion scolaire. Du point de vue des écrivains, la dimension auctoriale et l'aspect politique ne sont plus nécessairement couplés dans le désir de faire exister leur voix. Les freins à la visibilité éditoriale semblent ainsi moins politiques que commerciaux. Pour un auteur africain qui cherche à être lu en Afrique, les entraves tiennent en effet beaucoup à la diffusion, aux problèmes économiques et matériels liés à la circulation des livres. En ce sens, la dominante des limites qui viennent diminuer l'autonomie du champ littéraire africain semble avoir changé de nature : tandis que l'accent était mis sur les conditions politiques de l'accès à l'expression littéraire, il semble aujourd'hui davantage porté sur les dépendances économiques. Des problèmes de censure qu'ils étaient jusqu'au début des années 1980, les obstacles éditoriaux ont basculé vers les problèmes de tirages et de ventes. La constitution de grands réseaux éditoriaux, en majorant les impératifs financiers, contribue naturellement à une forme insidieuse de sélection des textes viables.

Peut-être est-ce dans cette perspective qu'il faut entendre les commentaires portant sur les deux entreprises éditoriales considérées, à présent envisagées comme « mythiques »12, et leur présentation actuelle dans les cadres muséaux, alors que l'histoire d'une maison d'édition se prête a priori peu à la monstration muséographique : mettre en lumière les combats éditoriaux menés par Alioune Diop et François Maspero pour la valorisation de voix marginalisées permet d'éclaircir la constitution du champ éditorial des littératures francophones et ses logiques, mais cela fait également signe vers une nécessité de constituer un âge d'or de la conquête de l'espace éditorial, où les dissensions internes semblent d'ordre second et où des énergies d'horizons différents se rassemblent autour de personnalités phares. Mais si les textes ont aujourd'hui conquis une certaine visibilité et si les enjeux actuels de l'édition francophoniste se sont effectivement fragmentés, l'acuité des engagements, sur des terrains à la fois plus diversifiés et plus ciblés, reste, semble-t-il, la même.

Notes

1 Selon la terminologie bourdieusienne, reprise par P. Casnova dans La République mondiale des lettres, Editions du Seuil, 1999.
2François Maspero et les paysages humains, ouvrage collectif, A plus d'un titre/La fosse aux ours, septembre 2009, et   Présence Africaine, les Conditions noires : une généalogie des discours, Gradhiva, n°10, numéro spécial, Musée du Qaui Branly, novembre 2009. Les contributions de Julien Hage s'intitulent respectivement “Une brève histoire des librairies et des éditions Maspero, (1955-1982)”, et “Les littératures francophones d'Afrique noire à la conquête des éditions françaises, (1914-1974)”.
3Cf. Katharina Städtler, “La Négritude en France (1940-1950) A propos d'un champ littéraire colonisé en exil”, in Les champs littéraires africains, Ed. Pierre Halen et Romuald Fonkoua, Paris, Karthala, coll. Lettres du Sud, 2001.
4 Cf. Georges Balandier, Histoire d'autres, Paris, Stock, 1977, p. 51-52.
5 Cf. Alioune Diop, « Niam n’goura ou la raison d’être de Présence Africaine », Présence Africaine 1, 1947, p. 7-14.
6 Idem.
7 Cf. Jean-François Held, “La Joie de faire lire. Comment François Maspero se bat et pourquoi...”, Le Nouvel Observateur, 24 août 1966, p. 27. Cité par Julien Hage dans François Maspero et les paysages humains, p. 101.
8 Julien Hage, “Les littératures francophones d'Afrique noire à la conquête des éditions françaises, (1914-1974)”, p. 96.
9 Archives Fanon. Correspondance avec François Maspero, Institut Mémoires de l'édition contemporaine, Caen. Cité par Julien Hage, op. cité, p. 95.
10 Poissonnier A., Sournia G., Le Goff, F.  Atlas mondial de la francophonie, Editions Autrement, 2006.
11Voir la citation de Jean-Noël Schifano qui sert de présentation à la collection “Continents noirs” chez Gallimard : “Nous parions, ici, sur l'écriture des continents noirs pour dégeler l'esprit romanesque et la langue française du nouveau siècle. Nous parions sur les fétiches en papier qui prennent le relais des fétiches en bois”. (2000) On peut également songer aux deux mots-clés par lesquels Actes Sud définit sa ligne éditoriale : plaisir et nécessité.
12Voir les commentaires laissés sur le livre d'or de l'exposition Maspero, ou l'entretien accordé par Sarah Frioux-Salgas à Télérama.